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L’anglais, langue supérieure ?


L’anglais, langue supérieure ?

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Les cours d’anglais, c’est dépassé ! Désormais, dans nos meilleures universités, on ne jure plus que par les cours en anglais. Cette mode lancée par les grandes écoles se répand peu à peu dans l’ensemble de l’enseignement, où elle touche surtout l’économie, foyer initial de l’épidémie. Cela va de soi, cette innovation ne donne lieu à aucun débat. La chose s’installe naturellement, comme si elle ne posait aucun problème et ne devait en poser aucun. Pourtant, il me semble, d’après mon expérience d’étudiant-cobaye ayant suivi ces cours, que le phénomène constitue, ou du moins annonce, un beau désastre.
Contrairement à ce que l’on pourrait spontanément penser, ce n’est pas le niveau d’anglais des élèves qui pose problème. On sait bien que la maîtrise passive d’une langue, en particulier d’une langue internationale que l’on rencontre tous les jours, est toujours bien supérieure à la capacité que l’on a à la parler. Le kit de survie du globish suffit à comprendre 99,9 % de ce qui est dit.
Le problème lourd se situe plutôt du côté des enseignants. Il y a tout d’abord ceux qui maîtrisent très mal l’anglais. Ceux-là soumettent leurs élèves, à chaque séance, à un calvaire récurrent heureusement atténué par les fous rires incoercibles de l’assistance. Le charabia de ces malheureux compile onomatopées, mots de français tripatouillés, anglais écorché vif et moulinets des bras : « When the biznesssaïqueul is down, euh… BAM ! craïse ! the enterpraïsis die ! » Deux autres plaies, qui vont ensemble, sont plus répandues encore : l’extrême pauvreté du vocabulaire et la faiblesse du débit. Même les professeurs dont l’anglais est le plus convaincant font preuve d’une indigence lexicale encore plus criante que les revues d’économie.[access capability= »lire_inedits »] À cela s’ajoutent la lenteur des phrases et des enchaînements ou, autre avatar du ralentissement, la répétition en trois ou quatre exemplaires de chaque concept ou affirmation[1. On sait qu’une des caractéristiques du globish est que l’émetteur se sent obligé, à la fois pour assurer la non-ambiguïté de son message et celle de sa réception, c’est-à-dire la peur de son niveau d’anglais et de celui de son interlocuteur, de répéter sous trois ou quatre formes différentes tous ses énoncés.].
Ce constat alarmant appelle deux questions : pourquoi ne voit-on rien ? Et pourquoi s’obstine-t-on ? Tout d’abord, si nous ignorons la calamité qui se prépare sous nos yeux, c’est que nous n’avons pas les bonnes lunettes. En effet, le niveau des cours baisse mais rien ne permet de le mesurer.
Tout d’abord, les examens sont toujours propres à un cursus (un master, un master spécialisé…) et ne servent jamais d’étalon pour une comparaison avec l’extérieur. Aucun point de référence, en dehors du parcours concerné, ne vient évaluer le niveau des acquis et celui des questions posées (encore moins le niveau d’exigence de la notation !). Ensuite, les connaissances « périphériques » telles que les nuances, les anecdotes, la culture générale et historique associée aux différents sujets des cours, sont rarement évaluées et exigées. Toute cette épaisseur du savoir peut donc disparaître sans faire de bruit. Personne ne vous demandera dans un examen d’économie ce qu’est l’École de Chicago, ce qu’étaient les corn laws au XIXe siècle ou quels sont les différents organismes qui gèrent les prélèvements obligatoires en France. En revanche, on exigera que vous récitiez soigneusement le théorème de Coase, résolviez deux bêtes équations du modèle des avantages comparatifs de Ricardo, et raisonniez in abstracto sur la dégressivité de l’impôt (qui, dans les théorèmes économiques, apparaît très attractive, mais semble avoir été abandonnée dans la réalité !)…
En l’absence d’unité de mesure objective et extérieure, la véritable échelle utilisée par le monde de l’enseignement supérieur, particulièrement de second cycle, est celle de la réputation et des étiquettes : mais les intitulés de cours ronflants et ambitieux, les noms de professeurs reconnus… sont autant d’arguments  de vente qui se révèlent être des publicités mensongères dès qu’on assiste à un cours baragouiné en anglais d’aéroport.
Reste à comprendre pourquoi nous nous obstinons à vouloir enseigner en anglais. Il semble que l’on puisse avancer deux raisons principales à cet élan, l’une bonne mais circonscrite, l’autre mauvaise mais relevant d’un mouvement plus général et plus idéologique.
La première raison, la plus naturelle, se situe dans l’internationalisation, bien réelle, du monde scientifique, de la recherche et des publications. De par le monde, le travail universitaire, et pas seulement en économie, est de plus en plus souvent rédigé en anglais. Et il est donc nécessaire que des étudiants maîtrisent cette langue. Mais alors, devant les conséquences néfastes de l’anglicisation des cours, n’aurait-on pas plutôt intérêt à mettre le paquet sur la formation linguistique des étudiants ? On pourrait, par exemple, dispenser en début de cursus de vrais cours d’anglais, et consacrer un temps réservé et obligatoire à la lecture d’articles en anglais, en exigeant des élèves qu’ils en fassent un compte-rendu (in english, of course !).
Seulement, cette option se heurterait à la deuxième série de raisons qui pousse les établissements à étendre le champ des cours dispensés en anglais : « l’internationalisation », mantra des directeurs d’établissements supérieurs en France – et sans doute partout en Europe. Il faut pouvoir accueillir des élèves étrangers – qui ne parlent pas français –, car accueillir des élèves étrangers est :
1. bon pour les divers classements, nationaux ou internationaux, qui tiennent en bonne place « l’ouverture internationale » et la proportion d’élèves étrangers dans l’école (comme si cela avait un quelconque rapport avec le niveau de l’école ou l’intensité du contact des élèves français avec l’étranger) ;
2. très rémunérateur, les élèves étrangers payant très cher leur droit d’accès à ces formations vendues « sur plan » et finançant ainsi les étudiants locaux (c’est d’autant plus décisif en France, où les élèves nationaux paient très souvent peu de frais, voire aucun) ;
3. parfaitement conforme au mouvement idéologique qui anime l’enseignement supérieur mondial et surtout européen. Le mot « idéologique », dans son acception péjorative, est particulièrement justifié dans la mesure où le moyen – « l’internationalisation » –, n’est jamais mis en face des fins, qui ne sont d’ailleurs pas définies de manière claire (faciliter les échanges économiques, les échanges culturels… ou tout simplement, internationaliser per se ?). Ainsi, le programme Erasmus fonctionne sur une aberration : alors qu’il entend promouvoir lesdits échanges au sein des divers pays d’Europe, il y envoie des élèves pour y suivre des cours… en anglais, limitant très vite l’échange culturel avec le pays d’accueil. Il n’est pas rare de rencontrer, par exemple, des étudiants ayant passé un an en Italie sans y avoir appris correctement l’italien (langue pourtant peu hermétique pour un Français).
De même, rien ne prouve que l’intégration d’élèves étrangers soit positive pour une école ou une université. Les étudiants étrangers ont suivi d’autres cursus, d’autres enseignements et arrivent donc avec des lacunes, du moins du point de vue d’un cursus linéaire pensé pour des élèves formés en France. Et c’est encore sans compter une lacune de taille : l’éventuelle non-maîtrise du français au sein des formations qui ne se sont pas encore converties à l’anglais. Cela pourrait avoir un effet cumulatif, car de plus en plus de formations se convertiront à l’anglais, pour soulager les élèves étrangers et en accueillir encore plus (rappelons que c’est lucratif !). Le passage à l’anglais, moyen au service de « l’internationalisation » et de son expansion, mot d’ordre pratico-idéologique de l’enseignement supérieur mondial, européen et français, est donc devenu une fin en soi, alors qu’il entraîne des conséquences néfastes sur le niveau des enseignements – tout en passant largement, de surcroît, à côté de son objectif affiché. Cette mode irrépressible relève exactement de la même idéologie que le programme Erasmus qui, sous couvert d’échanges culturels, promeut la standardisation festive d’une jeunesse européenne baragouinant l’anglais le plus basique et oubliant dans l’alcool la spécificité des pays qu’elle traverse.[/access]

Mars 2013 . N°57

Article extrait du Magazine Causeur



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est ingénieur-élève du corps des Mines, ancien élève de l’école Polytechnique.

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