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L’Index, un vrai coup de pouce !


L’Index, un vrai coup de pouce !

Réalisateur d’Anges et démons, la suite ou plutôt la préquelle[1. En franglais bien de chez nous, une préquelle est un épisode d’une série dont l’intrigue se déroule avant le film précédent.] du Da Vinci Code, Ron Howard ne décolère pas : le Vatican ne s’intéresse pas à son nouveau film, déjà annoncé avant sa sortie le 13 mai comme l’un des blockbusters de l’année. Si, dans la presse italienne, quelques évêques ont confié qu’ils n’iraient pas voir ce film, Rome semble s’en désintéresser totalement : pas de boycott, pas de condamnation ni de mise à l’Index en perspective. Enfin si : L’Avvenire a dégoté un petit monsignore de derrière les fagots, Antonio Rosario Mennonna, qui a déposé plainte pour « diffamation de l’Eglise » auprès du procureur de Rome – certes, ce prélat âgé de 103 printemps n’a pas fréquenté les salles obscures depuis l’apparition du cinéma parlant, mais il a toujours bon pied bon œil, l’ancêtre… Dans le reste de l’épiscopat, on sait faire encore la différence entre un roman et un essai, une œuvre de fiction et un discours théorique. On ne veut surtout pas répéter l’expérience de 2005, quand le cardinal Bertone[2. Tarcisio Bertone est supporter de la Juventus de Turin et secrétaire d’Etat du Saint-Siège, c’est-à-dire numéro 2 du Vatican (le numéro 1 étant le numéro 16).] s’avisa de proclamer que le Da Vinci Code c’était n’importe nawak. Silence radio, donc.

C’est là que le bât blesse. Comme il n’est plus très enclin à précipiter le premier roman de gare venu dans l’Enfer de la bibliothèque vaticane, le pape se préoccupe du film de Ron Howard comme de sa première paire de birkenstock[2. Benoît XVI voudrait, d’ailleurs, mettre le film à l’Index qu’il ne le pourrait pas : son prédécesseur Paul VI l’a supprimé en 1965, sur proposition du cardinal Josef Frings, dont Josef Ratzinger était l’un des plus proches conseillers. Quarante-quatre ans n’auront donc pas suffi à ce que certains prennent connaissance de l’info…].

Misère ! Comment voulez-vous gagner quelques places au box office sans l’intercession du Saint-Office[2. Note aux sourcilleux : oui, j’ai bien été informé que le Saint-Office n’existait plus depuis 1965. La réalité historique ne plie devant rien, sauf devant la possibilité de commettre un jeu de mots, aussi facile soit-il.] ? Une petite phrase bien sentie du pape aiderait : « La distribution d’Anges et démons ne résout pas le problème. Au contraire, elle l’aggrave. » Il sait faire ça, non ? Ce serait une belle polémique, une médiatisation planétaire et des journalistes par milliers tendraient leurs micros à Dan Brown et à Ron Howard pour qu’ils récitent leur couplet appris d’avance : « Cette condamnation nous attriste. Nous sommes les nouveaux Giordano Bruno, les Galileo Galilei des temps nouveaux. La preuve : et pourtant, on tourne. Nous demandons une protection policière devant chaque cinéma qui diffuse le film : les spectateurs ont droit à la vérité sur le Vatican, ses manigances et ses sociétés secrètes. »

Comme la mise à l’Index tarde à venir et ne viendra assurément pas, Ron Howard a passé les dernières semaines à asticoter le calotin : ainsi la headline des affiches du film titrait-elle : « Que nous cache le Vatican ? ». Le coup finaud a si bien marché qu’aucun avis de tempête n’a été déclaré dans les bénitiers. Seule la RATP a réagi fermement, en décidant de ne pas diffuser les affiches sur son réseau – après l’épisode de la pipe bannie de Jacques Tati et celui de la clope de Coco Chanel, les communicants de la Régie nous confirment dans nos soupçons : ils déposent leur cerveau sur les rails du métro avant le boulot et ne devraient pas pousser si loin l’esprit maison. Face à la réaction de la RATP (qui détient des panneaux publicitaires a toujours raison), la phrase a vite été remplacée par une autre : « Depuis 500 ans, une vengeance se prépare contre le Vatican. » L’Eglise ne cache plus rien, elle est victime d’une vengeance… De la réclame avant toute chose, comme ne le disait pas Verlaine.

Après ce coup d’épée dans l’eau même pas bénite, Ron Howard s’est essayé à autre chose pour s’attirer les foudres papales. Lors de la conférence de presse d’avant-première, tenue spécialement à Rome avec faux gardes suisses à l’entrée de la salle, le réalisateur a accusé le Pontife romain de lui avoir mis des bâtons dans les roues, usant de son influence pour interdire à son équipe de tourner dans les églises romaines… Trop c’est trop ! Si on n’a plus le droit de filmer une scène de meurtre dans la basilique Saint-Pierre, à Santa-Maria-Della-Vittoria ou à Santa-Maria-Del-Popolo, où va-t-on ? Ras-la-tonsure de ces catholiques pas très cathodiques ! Pire, quand on sait, en France, que l’entrée de certaines églises reste difficile d’accès aux caméras, pourtant assez bigotes, du « Jour du Seigneur », on se dit qu’il y a bien là un complot anti-audiovisuel ourdi par d’occultes puissances. Ce complot universel porte le nom sordide de « protection du patrimoine » et est diligenté par les architectes des Monuments historiques – tous de sacrés bénis oui-oui aux ordres du Vatican, comme chacun sait.

Un petit problème, cependant. Il y a quelques mois, Ron Howard disait tout le contraire de ce qu’il affirme aujourd’hui : « Nous n’avons pas demandé d’autorisation au Vatican, persiflait-il. Nous avons utilisé notre propre ingéniosité cinématographique, en utilisant tous les avantages technologiques que les réalisateurs ont à leur disposition. »

En 2006, pour le tournage à Paris du Da Vinci Code, la production n’avait rien demandé non plus à l’archevêché de Paris, préférant reconstituer l’intérieur de l’église Saint-Sulpice dans un studio londonien. Elle y avait même reproduit le décor d’une chambre d’hôtel… Vilain petit cachotier, Mgr Vingt-Trois a non seulement la mainmise sur les clefs des églises parisiennes, mais aussi sur celles des hôtels de la capitale ! Moi, je vous le dis comme je le pense, ma brave dame, ça sent l’Opus Dei à plein nez.

Mais avant de déballer toute la théorie howardienne de ce complot intergalactique, une petite précision s’impose : Ron Howard ne fait pas du cinéma d’art et d’essai dans le fond de son garage, avec un morceau de ficelle et trois bouts de chandelle. Son esthétique n’est pas même celle de Lars von Trier et des cinéastes de Dogma. La caméra à l’épaule, c’est pas son truc. Il fait, lui, de la superproduction hollywoodienne – belle photo, profondeur de champ, moyens techniques imposants – et il fait ça très bien. Anges et démons annonce un budget (hors promotion) de plus de 100 millions de dollars. Quand on dispose de ces moyens-là, on préfère assurément reconstituer des intérieurs en carton-pâte plutôt que de s’enquiquiner avec des conditions éprouvantes de tournage. Essayez d’installer votre louma, le petit nom de la grosse grue caméra, dans un espace contraint : vous m’en direz des nouvelles.

Or, voilà Ron Howard nous jurer aujourd’hui la main sur le cœur qu’il réalise ses films avec un minuscule caméscope et qu’il pourrait installer ses plateaux n’importe où, sans rien endommager. Et la prise de son, il licencie son perchiste pour nous la faire au dictaphone ? C’est beau, la foi. Surtout quand elle est mauvaise.

En attendant, le film tiré de la nouvelle de Dan Brown tiendra-t-il ses promesses et répondra-t-il à la question sous laquelle il est vendu au public : « Que cache le Vatican ? » La réponse est non. Dans un petit livre passionnant et bien senti, Sociétés secrètes, Alexandre Adler avait pris en 2007 sa plus belle plume historienne pour montrer toute la fumisterie des thèses de Dan Brown. Illuminati, Rennes-le-Château, trésor des Templiers, abbé Saunière : la seule part de vérité que toutes ces histoires à dormir debout contiennent, c’est qu’elles ont toujours fait vendre du papier et attiré les gogos en mal de complots mystérieux. Au passage, surtout les gogos d’extrême droite, tels Pierre Plantard, vichyste et antisémite comme pas un, qui inventa le Prieuré de Sion, s’affirma comme le dernier des Mérovingiens et que Dan Brown considère, pourtant, comme l’une de ses sources historiques les plus fiables.

Certes, cela coûte certainement moins cher à la Sécurité sociale de laisser en liberté de tels énergumènes mordus d’ésotérisme et assez inoffensifs, plutôt que de les enfermer aux côtés de types qui se prennent pour Napoléon. Mais de là à tenir leurs élucubrations pour des vérités historiques, il y a un pas. Un pas que Dan Brown franchit pourtant allègrement, en affirmant qu’à l’instar du Prieuré de Sion, l’Eglise est dotée de sociétés secrètes, chargées d’organiser ce qu’il convient d’appeler le fameux lobby catholique – pas de raison qu’il y en ait toujours rien que pour les juifs !

Or, voyez-vous, s’il existait un puissant lobby catholique, il ne serait composé que d’amateurs assez nuls en tout ou de grosses feignasses mollassonnes. Voire des deux. Car, vu le retrait de l’Eglise des affaires de la cité et l’approximation (c’est un euphémisme) avec laquelle les médias traitent son actualité, l’influence d’un tel lobby atteindrait le zéro absolu.

Quant à la fortune du Vatican – censée financer tous ces réseaux occultes que l’œuvre de Dan Brown dénonce –, elle semble, à vrai dire, aussi faramineuse que le portefeuille d’actions des clients les moins chanceux de Bernard Madoff. En 2006, le denier de Saint-Pierre rapportait mondialement un peu plus de 51 millions de dollars américains. La même année, le Da Vinci Code générait 700 millions de recettes. Petit joueur, le pape !

La crise aidant, peut-être Anges et démons ne fera-t-il pas autant… J’appelle donc solennellement le pape à la première des vertus chrétiennes : la charité. Hollywood va mal. Les actifs toxiques n’y sont pas étrangers. Une petite condamnation du film de Ron Howard pourrait contribuer à relancer l’industrie du cinéma. Sur cette bonne lancée, le pape serait bien inspiré de rendre obligatoire la projection du film dans les églises. Et faire apprendre par cœur Dan Brown aux enfants du catéchisme. Pas le béatifier, non, ni le canoniser : juste le faire cinquième évangéliste ou docteur de la foi. Une terrasse à Rome, très Saint Père, avec vue sur le Tibre, ne serait pas non, plus, de refus.

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Juin 2009 · N°12

Article extrait du Magazine Causeur



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