Les partisans de la vérité en seront pour leur frais, les incultes et les faussaires de l’histoire y verront une belle mise en scène de l’horreur et de la barbarie. Au pays du sang et du miel est un mauvais film et un film mauvais. Qu’il soit une réalisation américaine à prétention historique et qu’il fasse l’objet d’un panégyrique de la part de Bernard Henry Lévy suffisent à montrer son insuffisance. Mais s’il n’y avait que ça…
Début des années 90, la chute des régimes communistes de l’Est rebat les cartes de République fédérative socialiste de Yougoslavie libérée du joug de Tito. En juin 1991, la Slovénie et la Croatie proclament leur indépendance, suivies par la Bosnie-Herzégovine en mars 1992. Le 6 avril 1992, l’armée populaire yougoslave attaque la Bosnie-Herzégovine, c’est le début d’une guerre tripartite qui impliquera tout à la fois la Serbie, la Croatie et les différentes entités de la Bosnie-Herzégovine avant que la communauté internationale intervienne et mette fin au conflit par les accords de Dayton en 1995.
Comment s’aimer dans ce contexte ? Surtout lorsque Danijel est un soldat serbe et fils d’un général des forces serbes de Bosnie et qu’Ajla est Musulmane[1. En 1974, Tito crée la nationalité « Musulmans » à la demande des musulmans de Bosnie-Herzégovine ; les Musulmans deviennent alors un des peuples constitutifs de la Yougoslavie.]; a fortiori lorsqu’Ajla se retrouve prisonnière du camp qu’il surveille… Voilà en substance la trame d’un scénario bien faible qui cadence de manière irrégulière et pendant deux longues heures une vision partisane de l’histoire et un jeu d’acteur loin, trop loin, de ce qu’on aurait pu attendre d’Angelina Jolie.
Alors pour égayer l’ennui, rien de tels que du sang et du sexe : viols à répétitions, meurtre de bébé, tirs sur les civils, humiliations de dames du troisième âge, attaques de convois humanitaires, camps de prisonniers et fosses communes, etc. Tous les ingrédients sont là pour rappeler l’horreur d’une guerre et les dérives à la limite de l’humanité qu’elle produit. Un brin banal pour le cinéphile averti ; « incroyable » pour celui qui fit des conférences de Jean-Baptiste Botul une réalité ; un amalgame dangereux pour ceux qui croient à la noblesse de l’histoire et qui refusent le manichéisme.
Car si cette guerre fut horrible, si elle fut le théâtre de viols, de tortures, de massacres et d’expropriations, on ne peut la résumer à l’achromatopsie qu’offre le film, typique de la vision en abscisses et ordonnées du bien et du mal distillée par les Américains. D’un côté, les Musulmans en victimes meurtries ; de l’autre, des serbes sanguinaires dont le physique, les attitudes et jusqu’aux uniformes rappellent étrangement ceux qu’ils furent pourtant les premiers à combattre en 1941.
Et rien ne vient temporiser cette écœurante dichotomie. Tous les criminels de guerre sont Serbes, pas une seule des victimes civiles n’est serbe, et toutes les victimes civiles sont Musulmanes. Or la guerre de Bosnie-Herzégovine a été une guerre civile qui opposait trois peuples constitutifs de feue la Yougoslavie. Tous ont commis des violences et atrocités; à Konjic, Kladnaj, Visoko, Tuzla ou Mostar, des femmes serbes ont elles aussi été retenues, torturées et violées.
On ressort donc de ce film avec un goût métallique dans la bouche – celui du sang – et l’inquiétude qu’il fasse autorité auprès d’une génération qui n’a pas connu les guerres des Balkans, ne les a pas étudiées et risque de s’en tenir à ce qui lui est montré. Qu’on se le dise : la réconciliation dans les Balkans ne se fera pas sans la vérité, laquelle ne ressemble jamais à la fable convenue d’un mélo hollywoodien.
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