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Les malheurs d’Angela


Les malheurs d’Angela

C’est le drame des parents qui ont des enfants turbulents. Ça se castagne à la récré, ça arrache les pattes des sauterelles, ça hache menu menu la queue des lézards jusqu’à ce qu’elle repousse, ça colorie les murs, repeint le chat en jaune et revient à la maison avec son content de griffures et de gnons. Angela Merkel n’en peut plus.

Pour une femme, avoir un enfant la quarantaine passée est une aventure périlleuse. En recevoir un la cinquantaine venue présente des dangers autrement plus graves. Pour le corps mais surtout pour la tête.

C’était un dimanche du mois de mai 2007, Angie était restée travailler très tard au Kohlosseum, le siège mastoc de la chancellerie fédérale. Assise à son bureau, face au portrait grandeur nature d’Helmut Kohl, elle relisait une note technique sur la manière de rendre l’Alsace à la France sans que personne ne s’en aperçoive, quand elle éprouva un premier spasme. En moins de quinze secondes, tout était accompli. Un petit être chétif et dodelinant faisait face à la chancelière. N’était sa petite taille, rien ne laissait présumer qu’il venait de naître. Il regarda fixement Angie, jeta un coup d’œil à sa Rolex et tourna les talons en lâchant un : « Bon, ben c’est pas tout ça, mais faut que j’y aille… »

La vie d’Angie devint, dès lors, un calvaire. Elle tenta d’amadouer le gamin, le laissant lui faire la bise en public et l’appeler maman, puis elle consulta tout ce que l’Allemagne compte en pédiatres et en pédopsychiatres, relut tout Jacobi et Perelman, fit – chose admirable pour une luthérienne – le pèlerinage des Vierzehnheiligen en priant trois fois les quatorze saints auxiliaires, s’arrêtant même de longues heures dans la chapelle consacrée à Margareta von Antiochia, dont la réputation n’est plus à faire quand on a des problèmes de dragons et d’enfants.

Rien pourtant n’y fit. Tout s’aggrava même : plus les semaines passaient, plus le terrible rejeton redoublait son ardeur et son agitation. Comme Angie ne pouvait décemment garder le trublion auprès d’elle à Berlin, elle l’envoya en pension à Paris, où, présumait-elle, il pourrait gagner en sagesse et en prudence. Las, l’assiduité du petiot en classe n’était pas des meilleures : s’il excellait en sport, il était en revanche nul en allemand, pas très bon en français, médiocre en maths et en histoire. Quant à la géographie, autant ne pas en parler : l’idée lui vint, par exemple, un jour que la Méditerranée ne baignait pas les côtes de l’Allemagne ! Faut-il être à ce point arriéré pour ignorer cette réalité topologique qui fait que, six mois par an, le pourtour méditerranéen est le dix-septième Land allemand ? De mars à septembre, des Baléares à la Crète, de la Sicile à la Tunisie, on parle allemand, on mange allemand, on pisse allemand dans la Mare nostrum.

Angie lui fit la leçon et lui apprit les choses de la vie. Mais ce ne fut pas suffisant pour distraire l’enfant de ses terribles jeux. Pour se venger de sa mère qui le tenait à l’écart, il s’entoura à Paris d’une bande d’amis, à laquelle il donna le nom saugrenu de « cabinet » – manifestation de ce que Karl Abraham appelait le stade sadique-anal. L’enfant prit grand soin à ce qu’aucun de ses compagnons de jeu ne parlât un mot d’allemand, ce qui, réflexion faite, était grandement préférable : combien de guerres, dans l’histoire, l’incompréhension mutuelle et la barrière des langues auront-elles empêchées !

Cependant, l’enfant trépignait, s’agitait, réclamait sa mère et quémandait son attention. Dans le dernier SMS qu’il lui envoyait il y a quelques jours – l’enfant pourri gâté a un téléphone portable –, il écrivait : « Maman, viens à Verdun qu’on joue à Kohl et Mitterrand. Tout petit à côté de toi, je te prendrai par la main. Je te ferai des bisous et mille gros poutous partout. Tu verras, je serai sage. »

Maman ne vint pas à Verdun. Elle y envoya le Knecht Ruprecht (père Fouettard), un homme terrible doté des plus gros sourcils de la politique allemande et qui, accessoirement, préside le Bundesrat sous le nom de Peter Müller. Essayez donc un jour de vous amuser avec un Bernard Accoyer qui aurait la pilosité d’un Claude Allègre.

Aujourd’hui, Angie n’en peut plus. Elle est au bout du rouleau. Elle songe à envoyer le garçonnet en croisière sur le Rhin, du côté de Sankt Goarshausen. Là, au creux de la vague et des remous, il entendra, pour la dernière fois, une voix qu’il ne pourra comprendre :

Ich glaube, die Wellen verschlingen
Am Ende Schiffer und Kahn ;
Und das hat mit ihrem Singen
Die Bundeskanzlerin getan.

(A la fin bateaux et bateliers
Par les vagues, je crois, furent submergés
Et c’est pour Nicolas Sarkozy
Que notre chancelière le fit…)



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Née à Stuttgart en 1947, Trudi Kohl est traductrice, journaliste et romancière. Elle partage sa vie entre Paris et le Bade-Wurtemberg.

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