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Nous ne sommes pas les vampires de Berlin!


Nous ne sommes pas les vampires de Berlin!

angela merkel mes

En regardant, le soir à la télévision, des images venues de Grèce, Chypre, Espagne ou Portugal montrant des caricatures d’Angela Merkel affublée d’une moustache à la Hitler et des banderoles où l’on peut lire « Schäuble go home ! »[1. Wolfgang Schaüble est ministre des Finances du gouvernement Merkel.], nombreux sont les Allemands qui ne comprennent plus le monde. Et cela pour la bonne raison qu’on leur avait expliqué, lors des débats au Bundestag et dans la presse, que l’Allemagne s’était portée garante de sommes colossales – dépassant le montant d’un budget fédéral annuel – destinées à « sauver » d’autres pays de la faillite. Soit dit en passant, on se demande, chez nous, si le contribuable français est bien conscient qu’il contribue, lui aussi, à hauteur de centaines de milliards d’euros, à ces secours aux pays de l’UE en détresse… De plus, les Allemands sont persuadés que les conditions posées à l’octroi de cette aide – diminution du déficit des finances publiques, réduction du train de vie de l’État, baisse des salaires et des retraites et privatisation des entreprises nationalisées – sont le résultat de négociations des pays concernés avec la « Troïka » (FMI, Commission européenne, BCE), et non pas celui d’un « diktat » allemand. Pour faire bref, les Allemands se considèrent comme les sauveteurs d’États ruinés en butte à l’ingratitude de ceux qu’ils ont secourus.
Ils sont bien conscients, certes, que les mesures d’économie et les réformes de structure imposées (par exemple, la flexibilité du marché du travail et l’accroissement de la compétitivité de l’économie) sont dures à supporter par les citoyens des pays concernés. Mais ils se disent qu’après tout, c’est le prix à payer lorsque l’on a vécu trop longtemps au-dessus de ses moyens. Ils tentent alors d’expliquer aux Espagnols, aux Grecs, aux Portugais et aux Italiens qu’il y a dix ans, ils ont été soumis à un remède de cheval nommé « Agenda 2000 » par un chancelier social-démocrate, au prix d’une défaite électorale historique du SPD. Pendant dix ans, les salaires nominaux des Allemands ont stagné, ce qui signifie que le revenu réel des ménages a diminué d’un montant égal à celui de l’inflation, et nombreux sont ceux qui ont dû alors se serrer la ceinture. C’est seulement après cette pénible cure que l’Allemagne est passée du statut d’« homme malade » de l’Europe à celui de champion du monde de l’exportation, bien armée dans la concurrence mondialisée.[access capability= »lire_inedits »]
Et la solidarité avec les pays en crise ? L’Allemagne a déjà démontré, en garantissant les dettes de ces pays à hauteur de dizaines de milliards d’euros, qu’elle ne les laissait pas tomber. Mais la plupart des Allemands estiment que cela n’aurait aucun sens de jeter, sans conditions, tout cet argent dans un puits sans fond. À quoi servirait-il, en effet de payer la dette de la Grèce, ou de la mutualiser par des eurobonds, sans réformes de structure permettant de parvenir à une meilleure discipline budgétaire et à des gains substantiels de compétitivité ? Nous serions confrontés aux mêmes problèmes dans quelques années. Et qui peut sérieusement croire que des dirigeants politiques soucieux d’être réélus – cela vaut pour tous les pays – tiendraient leur promesse de gestion rigoureuse si on leur laissait la bride sur le cou ?
On sous-estime toujours, à l’étranger, le fait qu’au moment de l’introduction de l’euro, Helmut Kohl et son ministre des finances, Theo Waigel, avaient promis aux Allemands que la nouvelle Banque centrale européenne aurait strictement la même obligation de maintenir la stabilité monétaire que la bonne vieille Bundesbank. C’est pourquoi le traité d’Union économique et monétaire stipule explicitement qu’aucun État ne peut se porter garant de la dette d’un autre État. Aujourd’hui, on lit ce traité avec d’autres lunettes et de nombreux experts, pas seulement allemands, estiment que la décision de la BCE de racheter en quantité illimitée les obligations des États de l’UE constitue une sérieuse entorse au mandat qui lui a été confié.
Le Mécanisme européen de solidarité (MES) équivaut en fait à une garantie donnée par l’Europe à la dette de quelques États. Beaucoup d’Allemands, soucieux du respect de la lettre des traités, considèrent qu’il y a là une violation du droit. Un nouveau parti, « Alternative pour l’Allemagne », vient justement d’être fondé pour défendre ce point de vue dans la campagne pour les élections au Bundestag. On peut d’ailleurs considérer comme un miracle qu’en Allemagne, aucun parti important n’ait, à l’image du Front national et du Front de gauche en France (30 % des voix lors de la dernière élection présidentielle !), inscrit à son programme la sortie de l’Union monétaire.
On dit que l’Allemagne serait la principale bénéficiaire de l’Union monétaire. Les Allemands estiment, à juste titre, que si on achète à l’étranger une VW, une Audi, une BMW ou une Mercedes, ce n’est pas parce que ces voitures sont moins chères qu’une Peugeot, une Renault ou une Fiat. On les achète, bien qu’elles soient plus chères, parce qu’elles confèrent à leur propriétaire un statut symbolique supérieur, parce que leur qualité est meilleure et le service après-vente plus performant. De plus, depuis une décennie, la croissance des exportations allemandes est due aux marchés asiatiques plus qu’à la zone euro.
Dans ces conditions, lorsque les Allemands apprennent, par une statistique de la BCE, que le patrimoine moyen des ménages chypriotes, maltais, italiens, grecs, espagnols et français est notablement plus élevé que le leur, ils sont fondés à s’interroger : qu’avons-nous fait de mal ? Pourquoi toutes ces critiques contre nous ? Cela ne fait aucun doute : l’Allemagne possède l’économie la plus puissante au sein de l’UE. Cependant, les Allemands ont du mal à comprendre que cette suprématie soit perçue, hors de leurs frontières, comme une hégémonie, car ils ne sont nullement dans un état d’esprit dominateur. Ils se sentent au contraire abandonnés par les autres pays de l’UE qui ont participé, tout comme eux, aux décisions mettant en place les mesures de sauvetage des pays frappés par la crise. Ils se sentent surtout lâchés par un gouvernement français qui ne parvient pas à mettre sa maison en ordre, et qui est visiblement tenté de constituer avec l’Espagne et l’Italie un « front méditerranéen » contre le prétendu « diktat de Berlin ».
Les Allemands savent ce qu’ils doivent à l’Europe. Mais lorsque cette Europe, qu’ils ont contribué à bâtir, accueille leur chancelière avec des affiches la caricaturant en Hitler, ils sont blessés. Et des blessures, en Allemagne, en Grèce ou ailleurs, ne peut naître que le ressentiment.[/access]

*Photo : che1899.

Mai 2013 #2

Article extrait du Magazine Causeur



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est co-directeur du quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung.

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