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Michel Houellebecq élargit sa palette

Michel Houellebecq: "anéantir". Son génie fait le contraire!


Le romancier Michel Houellebecq est à la fois un chroniqueur de ce qui est et un visionnaire de ce qui sera. Sa dernière histoire, anéantir, numéro un des ventes, a ravi Philippe Bilger.


Il fallait bien que je lise anéantir, le dernier roman de Michel Houellebecq ! J’en éprouvais d’autant plus le besoin que de manière totalement immodeste, je me sentais obligé de départager les enthousiastes, les très critiques et les plutôt réservés. J’ai terminé ma lecture le 13 janvier à midi et je ne mégote pas : il s’agit d’un chef-d’œuvre qui marque une évolution sensible dans l’œuvre de ce créateur tellement génial que sa singularité est accessible à tous. Je me sens du côté de Jean Birnbaum que pourtant j’avais jugé dithyrambique, trop élogieux pour qu’on ne suspecte pas une trop vive complicité entre lui et Michel Houellebecq.

Un roman tellement riche qu’il est difficile d’en épouser toutes les faces comme si Michel Houellebecq, lassé par ses livres précédents à la fois remarquables mais centrés sur le registre inimitable d’une ironie sèche et drôle et d’un pessimisme brillamment sarcastique sur notre monde, avait décidé d’élargir sa palette, d’enrichir ses inventions et, d’une certaine manière, de nous démontrer, avec quelle force d’analyse et d’émotion, que rien de ce qui était humain ne lui était étranger.

Ce n’est pas à dire qu’on ne retrouve pas dans anéantir l’essentiel de ce que la multitude de ses lecteurs a toujours adoré chez Michel Houellebecq : une incroyable force narrative, un talent exceptionnel pour raconter, sur un mode apparemment ordinaire, le cours d’une réalité, de réalités (diverses et contrastées dans ce roman) et la relation d’événements de toutes sortes. C’est véritablement le fait du génie que de savoir passionner, avec une telle économie de moyens, en mêlant le factuel, la matérialité, la psychologie intime, les opinions sur la France, les considérations philosophiques et politiques et, plus globalement, tout ce qui peut surgir de la tête d’un écrivain incomparable épris de beaucoup de disciplines.

Un roman total

anéantir est un roman total, global. Politique, avec de profondes analyses qui démontrent que connecté sur la société française, ses affrontements partisans, ses détresses et ses misères, Michel Houellebecq est à la fois un chroniqueur de ce qui est et un visionnaire de ce qui sera. Il s’agit aussi d’une étincelante et limpide illustration du pouvoir et on aurait bien tort de prendre à la légère les admirables développements qu’il prête souvent à Bruno Juge, ministre inspiré par son ami Bruno Le Maire. Le tour de force du romancier est de rendre vraisemblable tout ce qu’à l’évidence il a pris dans la personnalité de Bruno Le Maire – les qualités et l’intelligence de ce dernier le justifient – mais en même temps de n’avoir pas oublié d’en faire un personnage romanesque infiniment sympathique et singulier.

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D’amour, avec les retrouvailles magnifiquement décrites, sur tous les plans (et Michel Houellebecq, pour la sexualité et ses diverses manifestations, ne lésine pas, mais sans que jamais on puisse trouver un peu lourde cette insistance), du couple Paul et Prudence, désaccordés à l’origine et que la quotidienneté rapproche de manière infiniment subtile, délicate et émouvante. Ce retour vers le cœur et le corps et leur complicité retrouvée est décrit avec une grâce et une finesse qui, s’il en était besoin, feraient justice d’un Michel Houellebecq présenté comme un cynique exclusif.

D’amour et d’affection encore, avec la focalisation sur les membres de la famille de Paul, notamment sa sœur Cécile et son beau-frère Hervé, Madeleine, la compagne de son père gravement diminué à la suite d’un AVC mais si présent par ses clignements d’yeux et les pressions de sa main, des personnages dont l’humanité, la naïveté parfois, ne sont pas moquées mais sur lesquels le romancier pose un regard d’absolue dignité et de total respect.

Un cancer incurable

De finitude et de mort. Il n’y a pas que la splendide fin du roman qui baigne dans une tendresse conjugale amplifiée par la description détaillée d’un cancer au traitement devenu impossible, avec une mélancolie qui profite encore du présent et de l’amour en sentant peser le poids de l’absence à venir. Tout au long des 726 pages qui se lisent sans un zeste d’ennui, court, tel un leitmotiv, une sorte de désabusement parfois joyeux, un doute sur ce que vaut vraiment l’existence avec sa fin obligatoire qui n’obère pas les moments où l’étrange joie d’être vivant vous saisit.

Michel Houellebecq en Espagne, septembre 2019 © REX/SIPA Numéro de reportage : Shutterstock40728940_000001

De rêves et de nature. Paul Raison, le protagoniste de ce roman, rêve souvent, et Michel Houellebecq nous raconte ses rêves sans omettre le moindre détail. Il faut voir cette intrusion de l’imaginaire dans le réel comme la démonstration que la vie des songes vient ajouter un supplément d’âme et de mystère à la quotidienneté brute. De nature, parce qu’elle est offerte comme une tranquillité, un apaisement, une harmonie qui rassurent les vivants et deviennent le seul bonheur de ceux qui vont mourir et n’ont plus que les arbres, les mouvements du vent, l’éternité des choses et la douceur mobile du monde sous leurs yeux pour durer encore.

Roman total, global, oui. Ce que j’apprécie par-dessus tout chez lui, même si évidemment il veille à singulariser chacun de ses personnages, du plus humble au plus important, est la manière dont il sait offrir à son lecteur une littérature d’affirmation et de conviction. Je perçois toujours, derrière les péripéties romanesques et les évolutions des êtres, la voix inimitable de Michel Houellebecq qui la plupart du temps me fait sourire, voire rire franchement tant il sait user de cette ironie de haut niveau qui le conduit à s’interroger lui-même et à répondre positivement à des questions parfois déprimantes que le commun ne se pose jamais. Il y a dans cette attitude qui ne se masque rien une lucidité supérieure qui ne cherchant jamais à se faire valoir par la pompe des mots (aux antipodes de son style) a d’autant plus de portée sarcastique, amère ou drôle.

anéantir est un gros livre. Pour ma part, même si quelques digressions d’une précision maniaque sur tel ou tel thème auraient pu sans doute être évitées, j’ai goûté encore davantage ce livre que les précédents – dont aucun ne m’avait déçu.

Souci des détails

Un mot sur une histoire qui revient régulièrement dans le livre et concerne les services secrets, des attentats, des mystères, avec des inspirations sectaires parfaitement organisées. Michel Houellebecq en traite en connaisseur et j’ai été impressionné par le souci des détails et de la vraisemblance qui d’ailleurs fait le prix du livre sur beaucoup de ses autres sujets. Ces épisodes peuvent sembler, même avec leur retour régulier, périphériques d’autant plus que l’auteur nous fournit une clé qu’il n’a pas éprouvé le besoin de rendre très explicite. Ce n’est pas grave. Je ressens l’existence de ces terrifiantes menaces et parfois réalités comme la volonté de Michel Houellebecq de montrer que notre monde n’est pas mis en péril que par lui-même mais par des forces obscures, un surnaturel effrayant et mortifère. De partout il est visé, ciblé. anéantir, quel beau titre pour ce roman qui nous comble. Michel Houellebecq, découvrant la douceur des choses humaines, nous enchante et nous fait espérer avec son lyrisme retenu, corseté mais d’autant plus troublant et émouvant. Le pire n’est pas sûr puisque l’amour existe.

Anéantir

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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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