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André Velter, le poète-éditeur qui donne de l’inspiration

"Les Solitudes" d’André Velter: la joie en territoire ennemi


André Velter, le poète-éditeur qui donne de l’inspiration
André Velter. Wikipedia. Yves Tennevin.

En rendant hommage au dernier ensemble poétique d’André Velter, qu’il soit permis d’honorer aussi sa qualité d’éditeur. Car chez lui, le poète et l’éditeur vont de pair. Ils se nourrissent l’un l’autre. Miracle de noces séminales. Il faut le souligner nettement. Car cela ne va pas de soi. Un poète n’a pas forcément la vocation éditoriale. Or des poètes-éditeurs, ça occupe pas mal de place dans les maisons d’édition. Qu’est-ce que serait un bon poète-éditeur ? Celui, ouvert à d’autres langages que le sien propre. Rares donc, les éditeurs-poètes capables de vouloir transmettre des poésies qui ne leur ressemblent pas. Mais dans lesquelles ils identifient la vie. Au point d’en désirer être le passeur. Le poète André Velter, éditeur de la collection Poésie/Gallimard depuis vingt ans, a élargi le champ de conscience poétique français. Par son ouverture d’esprit. Et sa soif insondable de la poésie des autres. C’est grâce à cette faculté qu’il est un poète aussi riche.

Vertus de la poésie par temps oppressifs

Son dernier chant, Les Solitudes, est au départ un salut au poète espagnol Luis de Góngora. Salut devenu livre entier de poèmes. Qu’y trouvons-nous ? Des vers à l’image des calligraphies chinoises pour célébrer le vin : « Un seul trait entre ciel et terre./Comme un horizon qui unit et sépare/Ce qui se voit de l’univers/Et ce qui vient de l’invisible. »

Des poèmes prenant appui sur la réalité immédiate : « Je n’ai plus souci du tracas des affaires/Ni de la course à l’échalote des gens de pouvoir./J’écoute le vent d’Est dans les chênes verts/Tandis qu’un sommet enneigé signe au loin/L’appel des solitudes. »

Et dominant cette réalité immédiate grâce au poème, il indique discrètement les vertus de la poésie pour nos temps oppressifs : « Quand un poète respecte sa liberté et son ivresse,/Il vagabonde ici ou là comme un clochard céleste./Si un importun l’importune, patron ou président,/Il secoue ses haillons d’ivrogne transcendantal//Et sait le congédier. » Prendre de la hauteur poétique, c’est prendre ses distances avec les urgences artificielles.

Mais pourquoi Góngora ? Parce qu’il semble un mystère pour le poète André Velter. Une interrogation. Une énigme titillant l’amour propre du poète qui voudrait comprendre. Comprendre la mécanique poétique du maître andalou. Alors humblement, il s’y confronte. Jusqu’à pressentir que ses poèmes sont « des bribes de constellations, ce sont à main levée des relevées de la galaxie ». La curiosité insatiable de Velter est toute là. Elle fait œuvre. Attitude d’un poète généreux : « En le lisant, et plus encore en le traduisant, j’éprouve une assez grisante perte de repères. Face à une telle horlogerie verbale, horlogerie de haute précision qui ne se souci aucunement de donner l’heure (…) je jongle, je danse, je chante sans maîtriser tous les tours, sans esquisser toutes les voltes, sans vocaliser tous les reflets sonores. » L’inventeur de la « syntaxe invisible » inspirant le poète-éditeur, pour notre plus grand bonheur.

Il y a des leçons à tirer de cette attitude. Des leçons de survie en terre de déconstruction. Voire des leçons de joie en territoire ennemi. L’ennemi ? Le simulacre nihiliste.

Recours au poème

Mais cette joie, qu’est-elle en réalité ? Un témoin d’images tendu par le poète à ses contemporains pour tenir à l’écart la dépression ambiante. Prescription d’enthousiasme par ordonnance royale. Le roi, ici, c’est le poème. Le voyageur Velter emprunte maintenant d’autres sentiers, « en terre d’incertitude », pour tout conjurer, puisque « le simulacre s’est imposé sur terre ». Et il est heureux, pour des hommes comme nous, de lire par exemple ceci : « Quand les astrophysiciens et les cosmologistes sont à la hauteur du désir qui les hante, ils avouent que le champ du réel témoigne d’une complexité si rigoureusement consubstantielle, si irréductible, que le recours à la poésie, en tant que langue de l’univers, devient scientifiquement fatal ».

Le recours au poème, oui, pour partager nos solitudes. Chez Velter, elles se nomment Laurent Terzieff, Serge Sautreau, Jean-Marie Le Sidaner, Bartabas, Ernest Pignon-Ernest ou encore Le Grand Jeu. Et elles se disent, avec une simplicité sans égale. Partage des solitudes. Et propagation d’une inspiration désormais devenue fonction vitale, pour nous autres, modernes à la recherche d’un autre souffle.

André Velter, Les Solitudes, Gallimard, 2017.

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