André Malraux voulait permettre à tous les Français d’accéder à notre immense patrimoine. Rien de commun avec son lointain successeur Jack Lang qui met sur un même plan Picasso et Koons. Entre ces deux modèles, la droite a choisi. Et trahi l’auteur des Voix du silence.
En ouverture des célébrations du 60e anniversaire du ministère des Affaires culturelles, l’actuel ministre, Franck Riester, écrit : « Si le ministère a beaucoup évolué au cours des années, je veux croire qu’en soixante ans, une continuité s’est installée : ses grandes missions telles qu’elles ont été conçues par André Malraux, enrichies au fil des ans, n’ont jamais été remises en cause. » Et le même de préciser lors d’une communication au conseil des ministres du 24 juillet dernier : « Depuis sa naissance, le ministère de la Culture protège et valorise le patrimoine, stimule la création, promeut la diversité culturelle… »
Ancien collaborateur parlementaire, Jérôme Serri est journaliste littéraire. Il a publié Les Couleurs de la France, avec Michel Pastoureau et Pascal Ory (Hoëbeke), Roland Barthes, le texte et l’image (Éditions Paris-Musées) et participé à la rédaction du Dictionnaire Malraux (CNRS éditions).
Non ! Malraux n’entendait pas « stimuler la création. » Ça, c’est du Jack Lang ! Malraux voulait favoriser la création « des œuvres de l’art et de l’esprit qui enrichissent notre patrimoine ». Aussi, la première mission que mentionnait son décret était-elle de « permettre l’accès aux œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ».
C’est une banalité, mais beaucoup semblent l’oublier : aucune création n’est possible si elle n’est adossée à un passé et conquise sur lui. Pas de création sans transmission préalable d’un héritage respecté et aimé. Comme Malraux n’a cessé de le répéter, les moutons de Giotto ne viennent pas des pâturages, mais des toiles de son maître Cimabue. Et Le Greco, partant pour Tolède, emportait Byzance et Venise derrière ses paupières. À la fin de sa vie, Roland Barthes, revenant sur des positions qui devaient beaucoup à l’air du temps, déclarait à son tour : « L’œuvre nouvelle doit être filiale, c’est-à-dire assumer une certaine filiation. » Et il ajoutait : « Il y a des moments où il faut dire avec Verdi : “Tournons-nous vers le passé, ce sera un progrès.” »
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Pour avoir ignoré ce processus créatif, pour en avoir même favorisé le mépris, Jack Lang s’est fourvoyé dans la promotion démagogique du préjugé de la tabula rasa, de la spontanéité, de l’immédiateté. « À 15 ans, j’ai découvert Apollinaire à la bibliothèque de ma ville et j’ai pris feu », confia Georges Brassens au micro du philosophe Philippe Nemo. Combien de pseudocréateurs subventionnés
