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André Gerin: « Je suis un coco qui a mal tourné »


André Gerin: « Je suis un coco qui a mal tourné »
André Gerin.
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André Gerin.

André Gerin, 70 ans, dont cinquante-deux avec une carte du parti communiste français en poche, entretient aujourd’hui quelques doutes sur l’imminence de l’arrivée de ces « lendemains qui chantent » dont sa jeunesse fut bercée, mais il croit encore que l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt. C’est donc par un sombre matin d’hiver glacial qu’il invite l’envoyé de Causeur à le rencontrer au local où il tient sa permanence hebdomadaire, celui de la section du parti communiste de Saint-Fons, dans la banlieue est de Lyon, une commune voisine de Vénissieux, son fief politique de toujours. Même s’il a, en 2009, abandonné son mandat de maire de Vénissieux à sa première adjointe Michèle Picard, et ne s’est pas représenté en 2012 à celui de député de la 11e circonscription du Rhône, qu’il représentait au palais Bourbon depuis 1997, André Gerin tient à rester au contact de ses anciens électeurs, à écouter ceux qui lui ont toujours fait confiance, et éventuellement à leur donner un coup de main quand ils sont dans la panade. On ne se refait pas…

Des lectures peu orthodoxes

Dans le bureau du secrétaire de section, on arbore toujours, accroché au mur, le drapeau rouge frappé de la faucille et du marteau de la défunte URSS. Mais c’est avec, en mains, une presse du matin fort peu orthodoxe en ces lieux qu’André Gerin fait son entrée : Le Progrès, seul quotidien local et… Le Figaro, organe national de « l’ennemi » de classe. « Je suis un coco qui a mal tourné ! » explique-t-il d’emblée, comme s’il avait perçu la surprise intérieure de son hôte devant ce comportement sacrilège. Mal tourné, peut-être, mais pas retourné sa veste après s’être aperçu, à l’instar de Serge Gainsbourg, qu’elle était doublée de vison ! Ce n’est que très récemment, en effet, qu’André Gerin et son épouse ont quitté leur appartement HLM de la cité des Minguettes, à Vénissieux, qu’ils occupaient depuis 1968, pour emménager dans un immeuble de cette même ville, construit pour favoriser l’accession sociale à la copropriété. « Mal tourner », pour lui, signifie se défaire des schémas ossifiés de la vulgate du PCF d’aujourd’hui, « un parti à l’encéphalogramme plat ! » constate-t-il, amer, pour aller chercher des réponses à ses interrogations dans des lieux malfamés aux yeux de ses « camarades » : Le Figaro, Causeur et L’Esprit[access capability= »lire_inedits »] de l’escalier, le dialogue dominical animé sur RCJ par la patronne de ces lieux avec Alain Finkielkraut, de l’Académie française.

André Gerin ne porte pas sur les quartiers dits sensibles le regard pseudo-empathique, en fait condescendant, des universitaires en mission sociologique ou ethnographique. Les quartiers populaires, les HLM, la contre-société communiste, il est tombé dedans quand il était très jeune, à 17 ans, et il n’en est jamais sorti. Muni d’un CAP de fraiseur, il quitte sa campagne iséroise natale pour entrer comme ouvrier chez Berliet, qui deviendra plus tard Renault Véhicules Industriels. Il fait toute sa carrière dans cette entreprise en grimpant l’échelle des qualifications pour passer dessinateur industriel, tout en exerçant des responsabilités syndicales à la CGT, et ne la quitte qu’en 1988 pour se consacrer à ses mandats politiques.

Lorsque, jeune marié, il obtient en 1968 un logement dans une cité HLM des Minguettes, à Vénissieux, c’est l’émerveillement : « J’avais passé toute mon enfance de fils d’ouvrier paysan dans des logements dépourvus de tout confort, sans salle de bains ni chauffage collectif… cet appartement c’était le rêve devenu réalité ! » Tout autant, et peut-être même plus que le confort matériel, c’est la convivialité au sein de la cité HLM qui enchante André Gerin : « La plupart des locataires venaient des zones rurales environnantes. Il existait alors une réelle homogénéité sociale et culturelle, on passait ensemble les réveillons de Nouvel An. Et puis, c’était juste après mai 1968, il y avait une réelle libération de la parole, on était moins coincé, on avait envie de sortir de son cocon, de partager… » La question de l’habitat est alors un élément majeur de l’idéologie de ce « communisme municipal » qui domine dans les banlieues ouvrières de la métropole lyonnaise : en dehors du logement collectif locatif point de salut ! Vénissieux doit faire face à une croissance démographique accélérée : entre 1962 et 1995 sa population triple, passant de 25 000 à 75 000 habitants. Aux dernières vagues de l’exode rural, viennent s’ajouter des populations chassées du centre de Lyon par la gentrification de quartiers ouvriers traditionnels, comme la Croix-Rousse des Canuts.

Regroupement familial et frictions

À l’immigration ancienne et bien intégrée des Italiens et des Espagnols, qui se sont rassemblés dans certains quartiers de Vénissieux, vient s’ajouter une nouvelle population en provenance du Maghreb, principalement d’Algérie, à la suite des lois sur le regroupement familial votées en 1975, au début de la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. Les ouvriers nord-africains de Vénissieux et alentour, jusque-là regroupés dans des foyers pour célibataires, intègrent alors en famille les HLM de la ville. Dès cette époque, se souvient André Gerin, quelques frictions se produisent entre les nouveaux arrivants et les anciens, liés au mode de vie et au comportement culturel de ces nouveaux venus : « À l’époque, nous n’avons pas prêté l’attention qui aurait été nécessaire à la multiplication des incivilités… nos convictions antiracistes et anticolonialistes nous poussaient à minimiser ce genre de phénomène, délinquance de rue, troubles du bon voisinage, etc. Nous rejetions sur le pouvoir de droite tous les dysfonctionnements qui survenaient dans notre environnement immédiat. Que la gauche accède au pouvoir et tout cela disparaîtrait… Tel était notre état d’esprit en ce temps-là ! »

Par ailleurs, le primat de l’habitat social locatif instauré en 1945 par le gouvernement du général de Gaulle dans le sillage du projet élaboré par le Conseil national de la Résistance, et mis en œuvre dans les années 1950, est battu en brèche par la nouvelle politique urbaine décidée à partir de 1976 par le Premier ministre Raymond Barre et son ministre du Logement Jacques Barrot. Finis les « grands ensembles », les barres et les tours abritant des milliers de logements, l’heure est à la promotion de l’accession sociale à la propriété dans des maisons individuelles. Le coup est dur pour ceux, comme André Gerin et ses camarades communistes, qui voient nombre d’habitants des HLM de Vénissieux, dont les piliers de cette convivialité populaire, quitter leurs logements pour s’installer dans des lotissements pavillonnaires grignotant l’espace rural alentour. « C’est le début de la constitution de cette France périphérique décrite par le géographe Christophe Guilluy, constate-t-il, et celui des problèmes sociaux et sécuritaires engendrés par la montée du chômage liée à la désindustrialisation de nos communes et à la ghettoïsation progressive de quelques quartiers. La religion, l’islamisme ne posaient pas de problèmes spécifiques à l’époque. C’est venu plus tard, au début des années 1990, avec la montée du FIS en Algérie, et ses ramifications en France et dans la région lyonnaise, d’où était originaire, entre autres, Khaled Kelkal, le poseur de bombes du RER de Paris… » Les HLM se vident : au début des années 1980, 2 200 logements sont vacants dans la commune, et la ghettoïsation s’établit, mettant fin à la mixité ethnique des cités.

La politique de la ville? Du rafistolage!

Le chômage explose, notamment parmi les jeunes, engendrant le développement des trafics de toutes espèces, principalement de la drogue. L’arrivée au pouvoir de la gauche, contrairement aux espoirs d’André Gerin et de ses camarades, ne change rien à l’orientation générale de la politique urbaine du gouvernement. En 1981, les émeutes des Minguettes, faisant suite à d’autres soulèvements spontanés et destructeurs de jeunes immigrés à Saint-Chamond, Vaulx-en-Velin et Rillieux-la-Pape, attirent sur Vénissieux l’attention des médias nationaux et internationaux. André Gerin n’est pas surpris par ces événements, dont il avait perçu les prémices, mais s’offusque encore aujourd’hui du déferlement médiatique sur Vénissieux « qui a plutôt contribué à souffler sur les braises qu’à l’apaisement d’une situation tendue ». Ces événements, cependant, lui donnent des arguments pour exiger de l’État, et de la Communauté urbaine de Lyon dont Vénissieux est membre, des efforts financiers pour la rénovation urbaine, l’amélioration des transports, la prise en charge sociale et culturelle des jeunes en déshérence. Il obtient, entre autres, la prolongation jusqu’à Vénissieux du métro lyonnais et la création d’une médiathèque, qui reste l’une de ses principales fiertés d’édile bâtisseur.

Avec le recul, pourtant, cette « politique de la ville », reprise, avec des variantes, par les gouvernements de gauche et de droite qui se sont succédé jusqu’à aujourd’hui, lui semble ressortir du rafistolage, de l’application de « vernis à ongles sur un mur lézardé ». Pendant que l’on s’affairait à repeindre les halls d’immeubles, voire à détruire des tours pour les remplacer par des espaces verts, les fondations politiques et morales de la collectivité vénissiane étaient minées par l’expansion de l’islamisme radical, importé d’Algérie dans les banlieues françaises.

Le FN émerge

En 1995, lors des élections municipales, c’est le coup de massue : même s’il est largement réélu au premier tour, André Gerin constate que le FN obtient un score impressionnant, 29 % des voix, principalement dans la partie ancienne de la ville et les zones pavillonnaires, alors que l’abstention monte dans les cités HLM : au total, la participation à ces municipales ne dépasse pas 50 % des inscrits, alors qu’auparavant il déplaçait en masse les électeurs. André Gerin ne se contente pas des imprécations antifascistes qui servent d’explication à ce phénomène politique au sommet de son parti. Il fait réaliser par la Sofres une enquête qualitative (avec entretiens approfondis) sur un panel d’électeurs de toutes tendances, et se met à l’écoute attentive des gens de sa commune, y compris de ceux qui le critiquent ouvertement, jusque alors considérés comme des « ennemis de classe » par nombre de ses camarades. Il ressort de ces enquêtes une grande défiance à l’égard de tous les pouvoirs, à la notable exception du maire. Elles révèlent en outre des préoccupations jusque-là négligées, ou minimisées par les élus : l’irritation devant la multiplication des actes d’incivilité ou de petite délinquance, et la dégradation de l’ambiance dans les collèges. Cela conforte André Gerin dans sa conviction qu’il est nécessaire de « rapatrier » au plus près des populations, c’est-à-dire vers la mairie, des compétences relevant de l’État, du département, ou de la Communauté urbaine, devenue depuis Métropole du Grand Lyon : « Si l’on ne s’en tenait toujours qu’aux strictes compétences administratives d’une commune, je vous assure qu’il n’y aurait plus besoin d’un maire ! Il suffirait d’installer un pilote automatique commandé depuis la préfecture ou la Métropole, ce qui accentuerait encore plus le divorce entre la vie réelle et les institutions. » André Gerin met alors son nez partout, même la où il ne devrait pas : dans les lycées et collèges, dans les offices HLM trustés par les « lyonnais », et même dans les caves des immeubles où se répand l’islam salafiste et l’idéologie djihadiste.

Aujourd’hui, c’est dans le livre Une France soumise, publié sous la direction de Georges Bensoussan, qu’il poursuit sa réflexion sur le djihadisme français, ce phénomène qu’il a vu naître et prospérer : « Les bien-pensants et les ultra-gauches cherchent à nous convaincre qu’il s’agit d’une révolte de jeunes humiliés et que leur djihad n’est rien de plus qu’une révolte identitaire, doublé d’une révolte adolescente, écrit-il. Or nous n’avons pas connaissance de revendications sociales ni de sollicitations politiques. En revanche, prolifère le discours antifrançais, anti-occidental, antijuif, antipolice. » Ce coco-là a vraiment mal tourné ![/access]

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