Ancien maire de Vénissieux et député PCF jusqu’en 2012, André Gerin est à l’origine, en 2009, de la commission sur le port du voile intégral qui a abouti à la loi sur l’interdiction de la burqa dans l’espace public. Attaché à l’identité communiste, il s’oppose à la création du Front de Gauche lorsque les militants choisissent Jean-Luc Mélenchon. Ses positions très critiques sur l’immigration et ses conséquences ont été l’objet de vives polémiques dans son propre camp.
Jérôme Leroy. Au vu des événements de ces dernières semaines, peut-on reprocher à la loi « anti-burqa », dont certains pensent qu’elle stigmatise l’islam, d’avoir joué un rôle dans la radicalisation de certains musulmans, notamment des groupes salafistes ? Ou pensez-vous au contraire qu’elle a contribué à inscrire la pratique de l’islam dans un cadre républicain − puisque finalement les caricatures de Charlie Hebdo n’ont pas suscité de réactions violentes ?
André Gerin. La loi et le travail de la mission parlementaire que je présidais et qui l’a précédée ont contribué à une prise de conscience. L’ensemble des responsables politiques avait trop longtemps fermé les yeux sur la montée en puissance des intégristes dans nos cités depuis plus de vingt ans, sur leur volonté de défier la République pour lui substituer un communautarisme régressif et moyenâgeux en s’appuyant sur la paupérisation et la misère endémique dans ce que j’ai appelé les « ghettos de la République ».[access capability= »lire_inedits »] À l’inverse, donner à l’islam spirituel toute sa place constitue un enjeu majeur pour notre vivre-ensemble.
Que pensez-vous de la réaction du Conseil français du culte musulman (CFCM) après la publication des caricatures ? Responsable ou dogmatique ?
Le CFCM revendique une « position du juste milieu » qui demeure ambiguë car elle ne condamne pas assez clairement le rôle néfaste des fondamentalistes. Mais ce qui est plus dangereux encore, c’est son discours sur la victimisation des musulmans. Résultat : il transforme une question sociale, un défi pour l’unité nationale et républicaine, respectueuse des diversités, en fait un enjeu ethnique et religieux. La République doit tendre la main aux musulmans, comme à toutes les confessions, afin que chacun puisse pratiquer sa foi dans le respect des règles communes qui conduit à ce que nul n’impose ses croyances et ses choix de vie à la société et à ceux qui la composent.
Faut-il de nouveaux textes législatifs ou réglementaires, à l’heure actuelle, pour combattre le fondamentalisme ?
Il convient d’abord d’être lucide et de faire preuve de détermination. Il faut donc commencer par dresser un état des lieux de l’emprise des fondamentalistes dans nos quartiers. Il ne faut pas l’ignorer : des groupes organisés souhaitent l’application de la charia dans nos territoires, sur fond de discours anti-France, anti-Blanc, mais aussi de trafics, de mafias, de guerres de quartiers. Nous n’avons pas tiré les enseignements des événements survenus à Grenoble, à Marseille et ailleurs. Ensuite, les textes doivent être à la hauteur de notre ambition, qui est de faire triompher la République et ses valeurs.
Le Premier ministre a d’abord « désapprouvé » Charlie Hebdo avant de faire vaguement machine arrière : relativisme mou ou responsabilité éclairée ?
Jean-Marc Ayrault est fidèle au positionnement du PS…
Le relatif échec des révolutions arabes qui ont amené des régimes islamiques voire islamistes vous donne-t-il l’impression d’avoir joué les Cassandre ?
Je ne sais pas s’il faut parler d’échec. L’histoire n’est pas encore écrite. Elle est en cours d’écriture. Nous sommes confrontés à un défi de civilisation. L’Occident doit prendre le parti des peuples et soutenir les forces progressistes, pour aider au développement de ces nations sans ingérence ou domination néo-colonialiste. Ce qui est en jeu, c’est l’émergence nécessaire d’un nouvel ordre mondial, sortant l’humanité de sa préhistoire, comme le disait Karl Marx. La logique capitaliste, ses avatars régressifs ont fait leur temps.
Sur ces questions, quel regard portez-vous sur Front de Gauche en général et le PCF en particulier ?
Ce qui se passe à l’échelle de la planète réactualise l’idéal de libération porté par le socialisme et le communisme. Mais dans cette perspective, et pour redéployer la solidarité internationale, le PCF doit retrouver ses racines populaires ancrées dans la nation. Un vaste espoir s’ouvre à l’activité communiste. Investissons-le.
En adoptant vos positions, la gauche communiste ne risque-t-elle pas de donner trop de poids aux clivages ethniques et religieux par rapport aux inégalités sociales et économiques, donc de faire le jeu des partisans du « choc des civilisations » ?
Ce qui favorise le « choc des civilisations », c’est d’une part le capitalisme financier qui opère comme prédateur de la planète au mépris des traditions de progrès et de la diversité des civilisations, et de l’autre le fondamentalisme musulman qui prétend remettre en cause les acquis des progrès scientifiques et toutes les avancées réalisées depuis les révolutions américaine et française. La menace d’une troisième guerre mondiale est donc sérieuse. Face à ces dangers, nous devrions être capables d’avoir le souci de l’intérêt général et, pour nos enfants, de transcender les clivages partisans. J’ai encore le droit de rêver…[/access]
*Photo : bbcworldservice.
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