En octobre 1977, Le Royal fermait ses portes. Clap de fin sur un cinéma du centre de Toulouse, situé au 49 rue d’Alsace-Lorraine, et disparition d’un métier : peintre d’affiches dites de façade. Il y a quarante ans, avant de se faire une toile, le spectateur n’avait pas lu d’assommantes critiques, il lui suffisait seulement de lever les yeux au ciel. Les murs de la ville clignotaient comme des appels de phares, une invitation à pénétrer dans les salles obscures. Le choix de voir tel ou tel film était dicté, en partie, par la qualité des illustrations géantes exposées en pleine rue. Couleurs saturées, force de l’action, gros plan sur un décolleté avantageux ou une bouche pulpeuse, feu des mitraillettes ou galop du cow-boy, toutes les techniques étaient bonnes pour harponner le flâneur.
La vie « en cinémascope »
Sensationnalisme et érotisme au pinceau. Et puis, des multiplexes froids et désincarnés ont envahi la périphérie, le cinéma de quartier s’est fait la malle au profit des franchisés. Banque, téléphonie et optique ont remplacé Eddie Constantine, Gregory Peck et Anita Ekberg. Partout en France, les sous-préfectures affichent désormais leur inexorable perte d’attractivité, malgré toutes les campagnes de communication. Les mêmes boutiques, les mêmes rues désespérément vides et le sentiment que les travaux de rénovation urbaine ne changent rien au paysage ambiant. La grisaille du béton plombe le moral du badaud. Le passant des années 50/70 voyait la vie en Cinémascope grâce à des artistes totalement méconnus, travaillant dans l’ombre des exploitants. En 2013, la Cinémathèque de Toulouse et les éditions Loubatières avaient publié un très beau livre Du cinéma plein les yeux réunissant 184 affiches d’un certain André Azaïs. Un ouvrage rare, toujours disponible, qui met le feu à la rétine et plonge le cinéphile dans un état proche de l’Ohio.
Pour ceux qui n’ont connu que de pâles photos dupliquées à l’infini sur l’ensemble du territoire, ces affiches peintes sur papier à l’unité, de grand format (15 X 2 mètres), révèlent un art populaire empreint d’émotion et d’imagination. André Azaïs (1918-1989) a produit près de 8 000 affiches et de très nombreux décors de fêtes foraines en 35 ans de carrière. A l’heure de la palette graphique, où même les repas de famille sont photoshopés, ce travail minutieux et inventif laisse planer un parfum de vérité. On connaissait les tailleurs de pierre, mais les couturiers sur-mesure des immeubles semblent appartenir à un épisode très éloigné de notre histoire contemporaine. A la fermeture du Royal, dans ses caves, les conservateurs de la Cinémathèque, Raymond Borde et Guy-Claude Rochemont ont sauvé de la déchetterie ces précieux témoignages. Défricheurs de trésors et raviveurs de mémoire, ils ont découvert des rouleaux à même le sol et dévoilé un univers presque féérique. De 1965 à 1973, André Azaïs aura été l’affichiste attitré du Royal utilisant différentes méthodes de travail, de la chambre claire au collage, afin de donner vie aux héros d’antan (Coplan, Zorro, Fu Manchu, Dracula ou L’Homme aux colts d’or). Il faut dire aussi que Le Royal, avec ses 1 050 places, fauteuils en velours rouge à la Mezzanine et en simili cuir à l’Orchestre tous matelassés de Dunlopillo et son écran de 10 mètres de longueur sur 6 de hauteur avait de quoi donner le vertige. Dès les années 60, cette salle mythique a accueilli des distributions de moindre envergure. Un cinéma de genre (policier, western, fantastique, érotique) où André Azaïs pouvait donner libre cours à son génie pictural.
« Je fais des gueules de Fernandel, des cuisses de vedettes »
Il s’appuyait alors sur les kits fournis par les productions (affiches originales, photographies, pressbook, etc…). Le résultat est à couper le souffle. Paul Newman et Julie Andrews semblent tétanisés dans Le rideau déchiré d’Alfred Hitchcock. André Azaïs a opéré un cadrage plus resserré fixant l’attention du spectateur sur la main tenant le couteau et le regard perdu des deux acteurs. La série des films interdits aux moins de 18 ans (La Possédée, L’Ecole du sexe ou Mon petit oiseau s’appelle Percy, il va beaucoup mieux, merci !) fait remonter à la surface des souvenirs enfouis. Notamment, ce passage du roman Les pas perdus (1954) de René Fallet où le personnage principal, Georges Guinard, occupe justement la profession de peintre d’affiches : « Moi, je bosse à Cinédécor, rue de Rome. […] Je fais des gueules de Fernandel, des cuisses de vedettes. C’est toujours moi qui peins les seins pour l’extérieur du Midi-Minuit, vous savez ce ciné des boulevards qui s’ingénie à être interdit aux moins de seize ans d’un bout de l’année à l’autre ». A l’intérieur ou à l’extérieur, c’était drôlement chouette le cinéma de papa !
Du cinéma plein les yeux – affiches de façades peintes par André Azaïs – sous la direction de Nathalie Laurent – La Cinémathèque de Toulouse/Loubatières.
Du cinéma plein les yeux: Affiches de façade peintes par André Azaïs
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