Anders Zorn (1860-1920) est l’un des deux peintres suédois les plus célèbres et les plus célébrés. Cet automne, le Petit Palais lui consacre une exposition. En une heure, et avec un peu de patience – la foule y est compacte – il est possible de sonder les portraits et les paysages derrières lesquels se profilent des scènes sorties de chez Ingmar Bergman, des fêlures, un réalisme déroutant.
Portrait de Gustav V entre deux portes
Le truc de Zorn, ce sont d’abord les portraits. Il peint de préférence ses sujets dans leur habitat naturel – plutôt que dans son atelier. Le réalisme en est démultiplié, le décor, avec ses particularités, ses petits désordres personnels, est presque aussi intéressant à observer que le visage. Gustav V. est immortalisé littéralement entre deux portes, Mrs Howe, émergeant d’un océan écarlate, semble attendre le signal pour se lever et retourner au bal. Zorn manie avec une modernité parfaite le faux instantané, qui ne dénoterait pas sur un compte Instagram.
Issu d’un milieu modeste, de la petite ville de Mora, maniant d’abord l’aquarelle sur papier, Zorn peint des scènes d’atelier, de famille (Les soeurs Salomon, par exemple, des amies), de toilette… À l’âge de vingt ans, il rencontre son premier succès avec En deuil, un portrait rapproché de jeune fille assombrie.
La Parisienne floue
Les lumières et les touches sont presque organiques, posées sur le papier, puis sur la toile, avec un geste puissant, sûr, quasi sanglant. Anders Zorn est, en quelque sorte, le peintre d’une forme détournée et subtile de vérité. Sa Fille à la cigarette a le sourire dans les yeux. La Parisienne est floue, volontairement, évidemment, ironiquement.
L’expressivité des corps n’est pas négligée par rapport à celle des visages. Vacances d’été, outre ses clairs éblouissants, montre bien plus qu’une dame bien mise et un homme du peuple, c’est un théâtre de corps, de muscles en mouvements et en retenue dont le paysage devient presque le prétexte. Emma lisant est bien plus qu’Emma lisant, c’est Emma « fronçant le sourcil en découvrant une nouvelle dans le journal », « Emma désapprouvant », « Emma déchiffrant », « Emma distraite par un bruit dans la rue », « Emma lisant et pensant à autre chose »…
Dans ma gondole, enfin, réalise le faux instantané le plus saisissant : le gondolier, de dos, force déployée, bouche la vue à son passager. L’homme dans la nature vole la vedette aux grands espaces. Pourtant, l’eau est l’élément de Zorn, comme ne manque pas de le rappeler le commissariat de l’exposition : une salle toute bleue avec des hublots, et flottantes, des oeuvres bleues. Le port de Hambourg, Alger, des clapotis de Constantinople à la Scandinavie, avec leurs reflets particuliers, et une clarté qui donne soif.
Des études de nu pudiques et canailles
Enfin, après des vues de campagne suédoise où se mêlent, depuis toujours, travailleurs des champs et nymphes blondes aux tresses immenses, les études de nu d’Anders Zorn surprennent. Canailles, parce que le peintre a fait ses classes à Paris, pudiques aussi, mouchetées, quelque part entre le Déjeuner sur l’herbe et l’insolence des Balthus.
Anders Zorn était le bienvenu à Paris, parmi les impressionnistes, particulièrement depuis sa rupture avec le conservatisme de l’académie des Beaux-Arts de Suède. Sa femme et lui n’ont pas eu d’enfants. On cherchera où l’on veut les raisons de ce petit « truc » en plus, de cette organicité jamais lubrique mais tellement vivante dans les gravures et peintures d’Anders Zorn.
« Anders Zorn, le maître de la peinture suédoise », exposition temporaire du 15 septembre au 17 décembre 2017, Paris, Petit Palais.
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