Jusque-là, tout allait bien pour la Droite populaire, le collectif « informel » de députés UMP créé par les bouillants sudistes Thierry Mariani et Lionnel Luca après la rouste des régionales de 2010: et que je t’impose des thèmes de débat (la laïcité, les récidivistes, l’immigration, les bi-nationaux). Et que je tape le gouvernement quand il est soupçonné d’être trop laxiste ou trop centriste et que je martèle l’idée que seule une droite décomplexée peut neutraliser Marine Le Pen.
On pouvait penser que le courant passerait mal entre cette bande d’infréquentables et des médias supposément gauchistes, c’est tout le contraire. Quand les élus UMP du marais alternent entre soupe tiède et langue de bois, les têtes de gondole Droite Pop sont des habitués des Quatre colonnes, là où, au sortir de l’hémicycle, on cause à la presse. Enfin, surtout aux caméras. Lionnel Luca, Christian Vanneste ou Jean-Paul Meunier sont devenus des sacrés « bons clients », ne saurait-ce qu’au titre de ceux qu’on adore détester, comme lors de la sortie de Brigitte Barèges sur le mariage homosexuel.
Bref, rien que du bonheur pour nos irréductibles Gaulois. Mais tout n’est plus aussi rose, enfin bleu, au pays de la droite de « bon sens », selon les mots de Thierry Mariani, ci-devant député du Vaucluse, secrétaire d’Etat aux Transports depuis novembre et ministre doté du même portefeuille depuis quelques jours. On commence même à sentir de sérieuses dissensions entre certains parlementaires de la droite d’en bas et Mariani.
Le sujet qui fâche du moment: la bi-nationalité. À tel point que Lionnel Luca avait menacé de démissionner de son poste de secrétaire général de l’UMP chargé de l’immigration, pour finalement accepter de le conserver après deux jours de bouderie. Luca déplorait à voix haute que l’UMP n’ait pas inscrit au menu de sa journée de réflexion sur l’immigration de ce jeudi 7 juillet un atelier sur la bi-nationalité au cours duquel il aurait été, selon nos informations, suggéré la suppression du double passeport pour les étrangers extra-communautaires ainsi qu’un durcissement des conditions d’acquisition de la nationalité française.
Petit rappel : fin juin, Claude Goasguen, député UMP (qui ne fait pas partie du club, peut-être parce qu’élu du XVIème, il est plus de droite que populaire) s’était fendu d’un rapport parlementaire dans lequel il demandait peu ou prou la même chose. Le texte avait scandalisé la gauche, jusqu’ici tout est normal, mais aussi Jean-François Copé, qui avait immédiatement pris ses distances, avant d’enterrer les propositions du député de Paris avec l’assentiment formel de l’intéressé. Lionnel Luca, lui, n’est pas du genre à avaler ainsi son chapeau. Avec un certain nombre d’autres parlementaires, il a persisté à remettre le sujet « bi » sur la table estimant qu’il était urgent de légiférer ou au moins d’annoncer qu’on allait réfléchir à le faire… Le niet de son parti a poussé Luca à brandir sa menace de démission. Avant de la remettre dans sa poche, assuré que le sujet serait plus ou moins abordé dans le débat UMPiste de ce jeudi.
Pas de quoi en faire un drame ? Peut-être. Mais l’épisode a révélé comme un discret parfum de divorce entre la base de la Droite Pop à l’Assemblée et Thierry Mariani qui a, de son côté, tenu à rejeter publiquement toute idée d’interdiction de la binationalité. « Autant je suis pour qu’on renforce les conditions d’acquisition de la nationalité française et qu’on permette la déchéance de nationalité, autant je trouve idiot de pénaliser des millions d’individus pour quelques centaines de personnes qui n’en sont pas dignes », a-t-il dit mercredi 6 juillet devant la presse parlementaire. Avec en cadeau Bonux un argument massue à l’usage de ses camarades Droite Pop: « Il y a au moins trois couples de binationaux au gouvernement, ça ne pose aucun problème… ». Tu quoque mi Thierry…
On s’en doute, Lionnel Luca est très agacé par ce genre de lâchage et son verdict est sans nuances : « Mariani est ministre, c’est fini. Il est obligé d’être sur une ligne de solidarité gouvernementale. » Circonstance aggravante, le ministre des Transports souhaite se faire élire à l’Assemblée en 2012 dans une des nouvelles circonscriptions dévolues aux Français de l’étranger, la plus vaste, qui va, dit-il « de Moscou au Vanuatu ». D’où une propension bien compréhensible à caresser dans le sens du poil ses futurs électeurs, bien souvent binationaux. Faudrait pas désespérer Singapour.
Mais ces arguments de pure tactique politicienne ne sont pas les seuls à prendre en compte. Le ministre des Transports est chafouin : autant il aime que ses amis grandes gueules fassent entendre la musique de « la droite du bon sens » dans les médias, autant il trouve que tirer sur certains membres du gouvernement n’est pas forcément l’idée de la mandature. Comme la double-nationalité, la question du mariage homo et les réactions de sa bande l’ont chagriné. Quelques-uns ont signé un communiqué demandant la démission de Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, coupable d’avoir expliqué qu’à titre personnel, elle aurait voté pour cette loi. « On ne tire pas contre son camp, dit Mariani. On doit du respect aux autres, qui ont le droit de penser autrement. »
C’est justement au nom de ce « penser autrement » que Mariani et Luca s’étaient entendus pour créer leur collectif, qui regroupe aujourd’hui une quarantaine de députés. Ceux-ci n’ont pas l’intention de se censurer, surtout à l’approche de la campagne. Luca parle déjà de la défense d’un programme labellisé « Droite Pop » pour les échéances électorales à venir. Un label plus organisé et plus contraignant que le simple collectif « informel » d’aujourd’hui ? Voire un parti associé -ou pas- à l’UMP ? Halte-là, dit Mariani : « Nous n’avons pas vocation à être un groupuscule. Nous sommes comme des anarchistes, un peu rebelles à toute forme d’autorité, c’est ce qui fait notre succès. » Toute autorité, y compris la sienne et celle du gouvernement auquel il appartient ? L’anarchie, c’est bon quand on la provoque, pas quand on la subit.
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