La ville d’Amsterdam envisage de bannir les touristes étrangers des mal-nommés « coffee shops », symboles de la façon dont la société néerlandaise a été gangrenée par l’argent de la drogue.
Le président Jacques Chirac avait su unir la population néerlandaise contre lui quand, en 1996, il qualifia les Pays-Bas de «narco-Etat». On avait alors frôlé l’incident diplomatique.
Quelle horreur, lui objecta-t-on du côté néerlandais, tout en chantant à ces réactionnaires de Français les vertus des coffee shops censés contrecarrer le crime organisé. Peu de temps après, le plus haut fonctionnaire américain chargé de combattre le commerce de la drogue qualifiait l’approche néerlandaise de « catastrophe claire et nette ». Mais aux Pays-Bas, les arguments de ceux qui avançaient que ces étrangers n’avaient peut-être pas complètement tort sur le fond furent balayés d’un revers de la main par les autorités et une bonne partie des médias.
Ce n’est qu’en 2019, lorsque Roberto Saviano, grand spécialiste sur la mafia, vilipenda la « désastreuse approche » néerlandaise, que les voix critiques commencèrent à être prises au sérieux. Dans le journal De Volkskrant, l’Italien lança un réquisitoire contre le laxisme de l’Etat néerlandais qui, selon lui, choyait les milieux financiers au lieu de les mettre au pas, entreprises de la finance qu’il qualifia « d’artères dans le blanchiment des gigantesques bénéfices du commerce de la drogue ». Saviano, auteur du roman-enquête Gomorra, constatait cependant qu’aux Pays-Bas, « la mafia n’avait pas encore assassiné des journalistes, comme en Italie ».
Mais, en juillet 2021, le journaliste Peter R. de Vries, spécialisé dans la couverture du crime organisé, a été abattu en plein jour dans le centre d’Amsterdam. Médias et police ont tout de suite établi un lien avec les scoops de la victime sur les faits et gestes du caïdat néerlandais d’origine marocaine et plus précisément de Ridouan Taghi, qui avait commencé sa carrière comme modeste dealer de cannabis. Après la mort de M. de Vries, qui a donné lieu à une sorte de deuil national, Roberto Saviano a repris sa plume. Dans le journal NRC il a dernièrement vilipendé la politique de consommation légale de cannabis, laquelle devait pourtant à l’origine couper l’herbe – si j’ose dire – sous le pied des criminels.
Autres avantages à l’ouverture des premiers coffee shops cités en 1976, les drogues douces ne seraient pas nocives pour la santé comme le tabac, et dissuaderaient même les consommateurs de se tourner vers l’héroïne !
Chirac avait raison
Inspirées de l’idéologie des hippies des années 60, toutes ces bonnes intentions ont mené à la situation catastrophique actuelle, constate, de concert avec Roberto Saviano, le criminologue néerlandais Hans Werdmõlder. Le titre de son livre, paru récemment, ’Nederland Narcostaat’ (Pays-Bas, Etat-narco) sonne comme la réhabilitation posthume de l’opinion de Jacques Chirac.
« Les Pays-Bas sont un État narco de fait, pas de jure, bien entendu » écrit celui qui fustige la naïveté des autorités de l’époque à suivre une politique de lutte contre la drogue diamétralement opposée à celles en vigueur ailleurs en Europe. Politique qui a promu un tourisme de la drogue, d’abord à des échelles modestes, jusqu’à ce que dans les années 1990 la ville d’Amsterdam décide de s’en vanter mondialement. Ce qui amena des centaines de milliers de jeunes – parmi lesquels des Français, particulièrement nombreux – à visiter la capitale non seulement pour ses musées et canaux (dont les campagnes de pub, vite arrêtées, chantaient les louanges) mais surtout pour fumer des pétards légalement, ce qui était inimaginable dans leurs propres pays.
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Aussi, le nombre de coffee shops explosa-t-il, de quelques dizaines jusqu’à environ 400, rien qu’à Amsterdam. La pègre locale, nationale ou internationale, a vite vu des opportunités immenses dans ce système sibyllin qui autorise la consommation mais interdit le commerce en gros. Hans Werdmõlder décrit ainsi ce paradoxe: « Des douaniers peuvent intercepter des cargaisons de drogue dans le port de Rotterdam, tout en sachant qu’il s’agît aussi d’une marchandise légale ». Dans son livre, Werdmõlder constate que, contrairement aux prévisions béates, les marchands de haschich se replient souvent sur les drogues dures, bien plus lucratives. D’autres criminels néerlandais se sont jetés sur la production de drogues synthétiques comme l’extasy, qu’ils exportent désormais dans le monde entier, ou sur la distribution en Europe de la cocaïne sud-américaine.
Ce commerce ne connaît pas de crise, et il vaudrait quelque 40 milliards d’euros par an, manne gigantesque en partie réinvestie dans l’économie légale. Des milliards qui ont fini, selon les experts, par miner la société néerlandaise toute entière.
Les exemples abondent de douaniers et des policiers soudoyés par des criminels, de magistrats, juges, journalistes et avocats intimidés, menacés – voire donc assassinés – de jeunes de quartiers précaires tentés par l’argent facile en échange des services rendus aux caïds. Services qui vont du guet au déchargement de conteneurs, en passant par les carrières de tueurs à gages. Ajoutez à cela que pratiquement pas un jour ne se passe sans règlements de comptes, souvent sanglants, parfois dans ou autour de coffee shops situés dans des quartiers résidentiels, et l’impression s’impose que la chimère hippie a engendré un monstre.
L’espoir Femke Halsema
La ville d’Amsterdam a cependant obtenu un certain succès dans sa politique de réduction du nombre de coffee shops. Il en reste environ 150, dont la grande majorité se trouve dans ou près de quartiers prisés par les touristes.
Dans les vitrines du Quartier Rouge, après deux ans de calme grâce au Covid-19, les prostituées voient reprendre le désolant spectacle de ces hordes de touristes déambulant en goguette et sous les effluves de haschich, sur une étroite superficie de ruelles et de canaux. Les rares habitants n’ayant pas encore fui cet enfer ont formé de modestes patrouilles, en gilets jaunes, afin de dissuader les fêtards de faire leurs besoins dans la rue, de gueuler, de vomir devant des portes ou de se soulager dans les canaux, où ils risquent une chute potentiellement fatale. Des scènes de cour des Miracles reportées par le journal amstellodamois Het Parool.
Libérer le centre-ville de la prostitution et du commerce de la drogue reste la principale ambition de la maire, l’écologiste Femke Halsema. Elle vient de proposer au conseil municipal de contraindre les coffee shops à refuser de servir les clients étrangers, c’est-à-dire à bien plus de la moitié de la clientèle. Réactions tièdes parmi la gauche municipale, majoritaire. Pareille mesure serait de toute manière difficilement applicable, un peu comme le serait toute interdiction du voile islamique dans la rue, ce que prône en France Marine Le Pen.
On ne peut nier cependant un certain courage à Madame la maire, moquée pour cet inattendu projet de « préférence nationale ». Que cette femme de gauche ose le proposer en dit long sur le désespoir des autorités dans leurs efforts de liquider les résultats néfastes de projets bien-intentionnés lancés il y a presque un demi-siècle.
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