Que vont devenir les jeux amoureux après le confinement?
Que ce soit sur la scène médiatique et politique ou bien dans les chaumières confinées, tout le monde se prend au jeu de la scénarisation du monde d’après. Le confinement serait le laboratoire du futur pour penser la politique de demain, l’économie de demain, le travail de demain, la consommation de demain, la vie sociale de demain. Tous les secteurs sont passés au crible de cette vision anticipatrice. Plus le déconfinement approche, plus on nous ressasse que « rien ne sera plus jamais comme avant » et plus on nous adresse l’injonction du « plus jamais ça », toujours exigée mais jamais appliquée, en témoignent le monde d’après Charlie ou encore la crise des subprimes.
L’amour au temps du corona
Alors, prêtons-nous, tout de même, au jeu du monde d’après, sur un sujet plus léger mais tout aussi crucial pour l’avenir de l’humanité : les relations amoureuses.
Passer du « sortez couvert » des années Sida au « sortez masqué » au temps du corona, peut-il modifier les rapports entre les sexes ? Le masque sera-t-il le nouveau préservatif du 21e siècle ? À défaut d’aller au bal ira-t-on draguer masqué dans des bars et clubs adaptés aux nouvelles normes sanitaires ? Quel sera le langage des corps dans le respect de la distanciation sociale ? Les adeptes des plans d’un soir devront-ils attendre les résultats du test de dépistage du Covid-19 avant de passer à l’acte ?
Bref, autant de questions essentielles et existentielles pour préparer l’avenir!
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Les manières d’aimer varient selon les époques. L’âge féodal a vu naître l’amour courtois néo-platonique, où le chevalier, vassal de sa dame, compose des sonnets et voit, au loin, l’élue de son cœur dont il porte les couleurs lors des tournois. Sous l’impulsion de Mlle de Scudéry et le clan des Précieuses, l’amour au XVIIe siècle emprunte les chemins sinueux de la Carte du Tendre et la séduction amoureuse se déploie dans des jeux de langage à la fois raffinés et délicats. Au XVIIIe, cet art de plaire prend les traits d’une fête galante à la Watteau et côtoie la sensualité du libertinage qui tire le verrou fragonardesque de la porte du désir, en emportant le siècle des Lumières dans le tournoiement fougueux des conquêtes amoureuses.
Le XIXe post-révolutionnaire met un terme à la légèreté galante, laissant place à l’épanchement sentimental du romantisme languissant mais, toutefois, contraint par la pudibonderie de la morale bourgeoise. Il faut attendre la révolution sexuelle des années 60-70, avec l’avènement de la pilule libératrice et de l’IVG pour voir l’émergence d’une nouvelle façon d’aimer plus libertaire. Depuis 68, les relations entre les sexes se sont déployées à l’aune d’une quête effrénée d’une jouissance sexuelle toujours plus immédiate, inconstante et compulsive qui a trouvé son aboutissement ultime avec le succès des sites de rencontre et des applis géolocalisées comme Meetic, Tinder ou Happn. Avec l’économie numérique, c’est en effet l’avènement de la cyberdrague et du sexe à la carte, à l’image de notre hyperconsommation nomade.
Les amants retiennent leur souffle
Aujourd’hui, à l’heure, où la crise sanitaire du Coronavirus semble rebattre toutes les cartes économiques, politiques, culturelles et sociales, doit-on s’attendre à voir l’émergence d’une nouvelle manière de séduire et d’aimer ?
Deux scénarios possibles se présentent. Le premier s’inscrit dans le prolongement de la cyberdrague qui verrait sa pratique exploser. Les individus, réduits à l’abstinence sexuelle pendant le confinement, continueraient ainsi à chercher des partenaires en ligne toujours confinés chez eux. Mais quid des rendez-vous post confinement ?
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Lorsque les bars et restaurants rouvriront, assistera t-on au désolant spectacle de ces morts de faim du sexe, enfin déconfinés mais complètement déconfits, livides comme un linge, installés en terrasse sous cloche, à un mètre de distance de l’éventuelle partenaire d’un soir, tout aussi livide et retenant, l’un et l’autre, leur souffle chaque fois qu’ils soulèvent leur masque pour boire leur verre ? Ceux-là ne sont pas prêts de siffloter le fameux air typique des années 80 « Chacun fait fait fait c’qui lui plait, plait, plait… »
Mais on peut parier sur l’ingéniosité high tech des applis de rencontre pour trouver une parade à cette situation anxiogène. En effet, en croisant les données de géolocalisation avec celles de la future appli de traçage numérique en ce moment à l’étude au gouvernement, seules les personnes non porteuses du virus seraient ainsi sélectionnées par Tinder &CO. Les utilisateurs de ces applis feraient donc leur marché en toute tranquillité. Dans ce scénario à la Black Mirror, la norme sanitaire collective viendrait encadrer la décision individuelle de coucher ou pas le premier soir.
Une fenêtre de tir pour le retour de la galanterie
Ce scénario orwellien éloignerait définitivement l’amour des jeux du hasard pour le placer sous le règne de l’hygiénisme préventif où masques et tests viendraient renforcer la panoplie antivirus dominée jusqu’à présent par le seul préservatif.
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Mais un autre scénario pourrait être également envisagé. Ce serait un retour au monde d’avant, avant la consommation dérégulée du sexe. Un retour à cette galanterie bien française, tant honnie par les féministes, mais qui a su civiliser le désir et l’attente en les sublimant par un art de la séduction, anoblie par le goût des lettres et des arts.
Cette distanciation sociale imposée ne pourrait-elle pas finalement permettre la réhabilitation d’une temporalité amoureuse plus lente, plus différée et d’une séduction qui exige forme et effort ? Il faudra sans doute apprendre à mieux se connaître avant de céder au plaisir sensuel. Si cet apprentissage amoureux il y a, il se fera peut-être de nouveau sous le matriarcat des Précieuses qui ont su, avec subtilité et élégance, imposer aux hommes de mettre les formes pour les conquérir. Et on peut espérer que cette rééducation sentimentale, si elle advient, redonnera souffle à cet art de vivre et d’aimer galant qui a fait la spécificité des mœurs de notre pays.
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