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Le marivaudage après la rigueur

Les dossiers d’été de Monsieur Nostalgie (4)


Le marivaudage après la rigueur
© MEUROU/SIPA

Pour connaître la teneur des rapports amoureux sous Laurent Fabius, L’Amour en douce d’Édouard Molinaro sorti en 1985 reste un témoignage édifiant des hésitations françaises


La comédie sentimentale est le meilleur reflet de notre histoire récente. Elle dit tout de nos inquiétudes et de nos emballements amoureux. Elle passe au scanner une France revenue des lendemains qui chantent et qui s’enfonce benoitement dans les crises. Crise financière, crise morale, crise du couple. Le rose si éclatant de la victoire en mai 1981, après essorage et divers renoncements, ressort passablement délavé, quatre ans plus tard. Même si ce n’est pas le propos de Molinaro, « L’Amour en douce » n’est pas un film politique, le tragique des sociétés faussement prospères et l’incompréhension entre les Hommes sont irrémédiablement en marche. L’heure n’est plus à l’abondance. L’étau n’a plus desserré ses mâchoires d’acier depuis cette date. La vie, frileuse et répétitive, a repris ses droits sur les rêves de changement. Les réveils sont pâteux en 1985. Ce film révèle assez fidèlement les bégaiements de ces années-là, le tournant de la rigueur a sapé le moral des derniers naïfs ; entre la fin de l’insouciance et la peur de l’engagement, entre l’ironie comme moyen de self-défense et les impasses du sexe libre, les personnages de Molinaro tentent de trouver un sens aux brouillons de leur existence. Chez le réalisateur, on est moins âpre, moins radical, moins décliniste, moins destructeur que dans les tranches de vie de Lauzier, on lorgne plutôt vers la comédie de mœurs à la Martin Veyron. Cet aigre-doux a disparu avec les ligues de vertu et les censeurs télévisuels au milieu des années 1990. Dans ce cinéma-là, à cheval entre deux genres, le divertissement et la romance, l’amour en déséquilibre permanent se tient sur un fil, fragile et beau à la fois, instable et désarmant. C’est justement parce que Molinaro refuse de choisir son camp en restant dans cette zone floue que « L’Amour en douce » est un puissant exhausteur de nostalgie. L’histoire de ce quatuor n’est qu’un prétexte à tricoter et détricoter les mailles des sentiments avec plus ou moins de véracité, peu importe. Daniel Auteuil, avocat aixois, bambocheur et volage, joliment marié à Sophie Barjac s’éprend d’une professionnelle incarnée par Emmanuelle Béart sous le regard tendrement désabusé d’un Jean-Pierre Marielle dont les silences sont une merveille de composition. Le long-métrage louvoie entre les scènes comiques et les flirts plus poussés, entre le drame intimiste et la sociologie des professions libérales, Molinaro ne s’interdit rien, la nudité de ses acteurs, la verdeur de son dialogue et même une « Happy End », il va jusqu’à utiliser cette vieille ficelle de la call-girl maîtresse de son destin qui dynamite la classe bourgeoise en place. Nous sommes dix ans après « Le Téléphone rose », l’auburn de Béart a remplacé le blond platine de Mimi et Molinaro récidive. Tout ça, ce ne sont que des artifices, le spectateur pardonne vite ces facilités, car le réalisateur est avant tout un merveilleux diffuseur d’ambiance. Il ne pratique pas un cinéma déclamatoire et inquisitorial, il capte avec sa caméra, des fragments de notre passé, le décor de notre enfance. Qu’il est doux et triste aussi de retourner à cette période, d’en saisir la fugace trace. Molinaro restitue les dernières heures avant la grande bascule idéologique et sociétale. D’abord, le film démarre sur la chanson « Que la vie me pardonne » interprétée par Daniel Auteuil : « J’fais mon cinoche de jeune clean désinvolte entre le parfum d’une blonde et les gros seins d’une ronde ». Le ton est donné. Marielle fabrique des meubles à la Ciotat et petit-déjeune en survêtement Lacoste. Quand Sophie Barjac demande à son mari : – Comment tu le trouves ? Il lui répond : très digne ! L’industriel divorcé roule en CX et Auteuil en Citroën Axel. On est très « Citroën » en 1984/1985. Roger Dumas est un hôtelier de nuit nostalgique du Tonkin. La voix de Michel Robin apaise les jeunes filles en pleurs. On se réfugie en Bretagne ou près du Square Viviani en face de Notre-Dame. Aux flashs d’actualités, la fermeture des chantiers navals et une grève inopinée des contrôleurs aériens font partie du quotidien des Français. Les grands-mères regardent « Dynastie » à la télé et les lycéennes lisent Belle du seigneur dans le bus. On passe beaucoup de temps aux comptoirs d’Air Inter à attendre. Les magasins à la mode louent des VHS. Daniel Ceccaldi est un avocat associé, amateur d’amour tarifé. On prononce des phrases bannies du langage actuel : « Je me sens très province ». Et puis, il y a deux actrices inoubliables, Sophie et Emmanuelle, en talons plats et en vestes à chevrons, à la mise sobre et sauvagement quelconque, ne cherchant pas être disruptives ou dans le coup, c’était seulement « une question de feeling » comme le chantaient cette même année-là, Richard Cocciante et Fabienne Thibeault :
« Dans l’infini universel
Nos deux vies parallèles
Parallèles
Se sont croisées ce soir
Le jour se lève
C’est comme un rêve
Un rêve qui s’achève

Moi j’ai envie de te revoir » 

Monsieur Nostalgie

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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