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Ami magistrat…

Punir pour réparer est une mission noble


Ami magistrat…
Didier Migaud, ministre de la Justice à l'Ecole Nationale de la Magistrature (ENM) à Bordeaux, le 18 novembre 2024 © UGO AMEZ/SIPA/2411181304

Le collectif Au nom du peuple est composé de magistrats judiciaires du siège et du parquet en exercice. Ne se reconnaissant pas dans la communication officielle du ministère de la Justice et des syndicats, son objectif est d’apporter au grand public des réponses concrètes aux questions que le fonctionnement de la Justice pose.


Ami magistrat, de France ou de Navarre, jeune juge fringant tout juste sorti de l’école ou vieux briscard des parquets, si toi aussi tu as chaque jour le sentiment de vivre dans une dimension parallèle et que tu hésites entre le fou rire et te rouler par terre en pleurant quand tu entends le garde des Sceaux prendre la parole en ton nom dans les médias, cette chronique est pour toi.

Tu as compris depuis longtemps que ton ministère est avant tout celui de la caution morale et des demi-vérités ; que son activité principale est de noyer la réalité dans des termes techniques abscons et des statistiques incomplètes ou obscures ; que son objectif premier est que ni la presse, ni les élus, ni surtout ceux que nous appelons du vocable barbare de justiciables – le peuple français, donc – ne comprennent un traître mot de ce qui se passe dans les tribunaux.

Tu as tantôt honte d’appartenir à cette machine à fumée, tantôt envie de démissionner, tantôt la conviction que rester à ton poste est le meilleur moyen de limiter la casse et de sauver par ta petite action quelques dossiers, par-ci par-là, de temps en temps, en les soustrayant à l’effrayante inertie de la Machine.

Dura lex sed lex

Mais surtout, ami magistrat, tu en as assez que ton ministre[1] raconte n’importe quoi.

Tu voudrais pouvoir dire : bien sûr que la Justice est laxiste !

Elle l’est parce que la loi lui demande de l’être, qu’elle lui interdit de ne pas l’être et qu’elle exige des tombereaux de justifications lorsqu’on souhaiterait déroger à ce courant dominant.

Elle l’est parce que l’objet principal du Livre premier du Code pénal est d’expliquer comment ne pas prononcer puis comment ne pas appliquer les peines prévues par les quatre livres suivants.

Elle l’est parce que le législateur permet qu’on prononce un travail d’intérêt général pour un trafic de stupéfiants en récidive et un emprisonnement avec sursis pour un viol.

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Elle l’est parce que le droit positif prévoit une paperasse invraisemblable pour justifier de la peut-être éventuelle nécessité d’incarcérer un délinquant multirécidiviste.

Elle l’est parce que si par miracle ce délinquant multirécidiviste est poursuivi par le Parquet, incarcéré par le Tribunal correctionnel ou la Cour d’assises et maintenu en détention par la Cour d’appel, il pourra compter sur le juge d’application des peines pour lui octroyer une réduction de peine et/ou la possibilité d’effectuer sa peine chez lui – réduisant à néant la décision des multiples magistrats intervenus avec lui, dans la passivité et l’indifférence les plus totales de ces derniers – ami magistrat, ne souffrirais-tu pas d’un syndrome de Stockholm ?

Elle l’est car même quand tu voudrais, ami magistrat, t’extraire de ce courant dominant qui t’incite à la clémence et à la mollesse, tu pourras compter sur tes estimés collègues, juges des libertés et de la détention, juges correctionnels, présidents et assesseurs de Cour d’assises, juges des enfants, juges d’application des peines, pétrifiés par leur lâcheté ou confits dans leur idéologie, pour libérer délinquants et criminels.

S’opposer aux décisions qui libèrent les criminels et ridiculisent la Justice

Tant et si bien que tu finis toi aussi par céder à la facilité du conformisme judiciaire, parce que c’est tellement plus rapide et que tu manques de temps, parce que c’est tellement plus simple et que tes collègues sont aussi tes amis, parce que c’est mal vu de passer pour le répressif de service pendant les délibérés, parce que tu n’as pas envie de déjeuner seul pendant les trente prochaines années, parce que la période de mutation arrive et que tu aimerais éviter de rester encore deux ans à Lons-le-Saunier[2] parce que tu auras commis un crime de lèse-pensée.

La vérité, ami magistrat, c’est que tu vis dans la peur d’être démasqué, identifié, minoritaire. Oh ! tu te doutes bien qu’en sachant ce que nous savons et en voyant ce que nous voyons tu n’es probablement pas le seul à te dire que quand même les Français ont peut-être raison de nous considérer comme des grands seigneurs mous et condescendants à qui on ne peut pas faire confiance pour les protéger. Mais comment se dévoiler sans s’exposer ? Comment renoncer à cette taqiya professionnelle adoptée dès l’École et qui est devenue comme une seconde nature ?

Alors tu vis dans la honte et le dégoût d’être associé à ces décisions qui libèrent les criminels, ridiculisent la Justice, violentent les victimes et blessent la société. Dans la honte d’être représenté médiatiquement par un ministre et des syndicats autoproclamés représentatifs qui mentent aux Français en leur disant que tout va bien, que le système fonctionne et que les magistrats ont toujours raison, et que quand ils ont peut-être éventuellement exceptionnellement eu tort ce n’est pas vraiment leur faute mais la faute au manque de moyens…

Tu voudrais dire, toi, que la loi est mal fichue, qu’elle est du côté du crime et non des victimes, que la moitié de la magistrature passe son temps à défaire ce que l’autre moitié a fait, que le système est lent et paresseux malgré les bonnes volontés et qu’il pourrait faire bien mieux avec un peu de courage et d’ancrage. Qu’une partie des juges rend une justice de bourgeois paisibles, qu’ils refusent de punir car ils ne sentent pas concernés, qu’il suffit d’un peu de volonté politique pour leur forcer la main et leur faire appliquer la loi du peuple, seule source de leur légitimité de super fonctionnaires non élus et choisis par personne sinon le système lui-même.

Ami magistrat, si toi aussi tu as foi en ton service, si tu veux rendre la justice dignement et assumer que punir pour réparer est une mission noble, si tu veux cesser de te cacher, si tu veux pouvoir te regarder en face et regarder la société que tu sers dans les yeux : sois rassuré, tu n’es pas seul !


Ce collectif anonyme proposera son analyse Emprisonnement : l’exécution à la peine dans nos colonnes, la semaine prochaine NDLR.


[1] Le ministre évoqué dans cette tribune est la figure du ministre de la Justice telle qu’elle a été incarnée ces dernières décennies. Cette formule ne vise pas spécifiquement l’actuel garde des Sceaux, qui s’inscrit néanmoins sur ce point dans la droite et navrante ligne des prédécesseurs qu’il s’est lui-même désignés.

[2] Nous affirmons ici une affection profonde et sincère pour l’Est de la France, trop souvent et injustement décrit dans le monde de la magistrature comme un no man’s land inhabitable et destiné aux derniers du classement de sortie de l’École. Néanmoins, nous ne pouvons que constater qu’un maintien à long terme à Lons-le-Saunier serait considéré par une majorité des magistrats comme une quasi sanction disciplinaire.



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