Premier film fauché mais viscéral, The Gazer a bousculé les festivals avec son esthétique râpeuse et son énergie de cinéma brut. Tourné en 16 mm par un électricien devenu cinéaste, ce thriller indé entre rêve noir et cauchemar américain suit Frankie, une paumée du New Jersey aux prises avec une mystérieuse maladie du temps et une embrouille de voiture louche
L’image a du grain, la couleur est saturée, tout ça fait un peu cradoque mais cette esthétique du pauvre – tournage effectué à l’économie, en pellicule 16mm – est assez raccord, au fond, avec le style de ce movie 100 % « indé U.S », comme on dit. Ce premier long métrage a fait sensation au festival du film américain de Deauville, et à Paris, projeté dans l’édition 2024 de l’Etrange festival. Électricien de métier, son réalisateur, Ryan J. Sloan, y a englouti trois ans d’économies patiemment engrangées avec sa co-scénariste et actrice américano-canadienne Ariella Mastroianni (rien à voir avec Chiara). Au civil, ils sont mari et femme.
Syndrome cérébelleux
Brunette coiffée à la garçonne, Ariella campe ici Frankie, une prolo du New-Jersey affectée d’une maladie qui met sa vie en sursis à brève échéance : le nom scientifique est « dyschronométrie » – le terme apparaît une fois dans le dialogue au cours du film, raison pour laquelle je m’en souviens. Consulté, le dictionnaire me précise qu’il s’agit d’une « altération de la gestion des paramètres temporels du mouvement volontaire (… ), symptômes inscrits dans un syndrome cérébelleux ».
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Autant dire qu’à la fille on ne donne pas cher de sa peau. Dès la première minute du film, ce handicap lui fait d’ailleurs perdre son taf de pompiste. Faute de ressources pour l’élever, Frankie a été privée de la garde de sa petite fille, éduquée par sa belle-mère suite à un drame survenu antérieurement, et dont l’intrigue labyrinthique nous dévoilera le secret… Pour pallier à ses absences cognitives, Frankie a la manie d’enregistrer son quotidien sur son petit magnéto à cassettes, messages qui lui permettent de ne pas perdre pied.
Surprise par Frankie depuis une fenêtre dans une dispute avec un type, une jeune femme, voisine de l’immeuble d’en face, lui propose contre trois mille dollars en cash d’aller garer en toute discrétion une voiture en lieu sûr, à un endroit donné. Quoique méfiante, mais trop aux abois pour refuser, Frankie fait le job. Seulement voilà, la rétribution se fait attendre. Frankie n’a pas de smartphone, alors elle se reporte sur les cabines de téléphone pour pister l’arnaqueuse : dans cette Amérique sans âge, elles n’ont pas été démantelées. Le scénar a déjà pris la forme d’un thriller louvoyant, paranoïaque, sanguinaire et grevé de cauchemars, quelque part entre Cronenberg et David Lynch… Vous suivez ?
L’autre personnage principal de The Gazer– « Le Spectateur », en français – c’est cette ville américaine en état de déliquescence avancée, qui a toutes les apparences d’un nouveau tiers-monde. Loin de la Start up Nation chère à Trump.
The Gazer. Film de Ryan J.Sloan. Avec Ariella Mastroianni. Etats-Unis, couleur, 2024. Durée : 1h54
En salles le 23 avril 2025
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