La ministre des Sports succède à Gabriel Attal. Son « superministère » englobant l’Éducation et les Sports, et les Jeux Olympiques approchant, nul doute que le nouveau Premier ministre devrait continuer de suivre de près ce qui se passe à l’école dans les prochains mois.
Nous voilà rassurés, c’est Amélie Oudéa-Castéra, et non Aurore Bergé, qui est nommée au poste de ministre de l’Éducation Nationale. Rappelons que la seconde, désormais ministre déléguée chargée de l’égalité entre les hommes et les femmes, avait monté en épingle une affaire concernant des propos critiques à l’égard du passe vaccinal tenus sur X (Twitter) par René Chiche, professeur de philosophie, conduisant à sa suspension temporaire et à sa privation de traitement pendant plusieurs mois. Sans compter plusieurs classes laissées sans leur professeur et sans remplaçant à quelques mois du baccalauréat. Le devoir de réserve du fonctionnaire a bon dos. Le soulagement de voir Amélie Oudéa-Castéra prendre le ministère nous ferait presque oublier une certaine déception de voir s’enfuir à Matignon un ministre de l’Éducation qui semblait avoir de l’ambition pour l’école (et ce, quand bien même tout n’aurait été, pour Attal, que recherche d’une certaine popularité car si l’ambition individuelle permet, indirectement, une prise au sérieux du déclassement éducatif français, nous prenons!).
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“Chocs des savoirs”, autorité du professeur, classes de niveau, réflexion sérieuse sur la pertinence douteuse du collège unique, fermeté sur la question de l’abaya, harcèlement des harceleurs quitte à les faire embarquer entre deux gendarmes et à les envoyer dans un autre établissement, l’idée était là.
Alors quand Gérald Darmanin souligne son devoir de finir son travail au ministère de l’Intérieur, comment ne pas déceler, en creux, que c’est l’abandon de poste de Gabriel Attal qui est pointé du doigt ? C’est pourtant un faux procès qu’on lui ferait là : pour l’Education nationale les objectifs essentiels, l’orientation d’ensemble et la feuille de route sont désormais tracés et tout semble aller plutôt dans le bon sens. Attendons.
Ne dévalorisons pas tout ce qui commence
Il serait peut-être temps de cultiver un peu notre vertu d’espérance, d’en finir avec la tentation si commune aux journalistes de dévaloriser tout ce qui commence, de gâcher les débuts pas si balbutiants sous prétexte de donner à voir la lucidité désabusée de celui à qui on ne la fait pas. Bref, cessons de refuser de donner du temps au temps sous prétexte qu’il y a urgence à rebâtir notre école. La remise à niveau ne se fera ni en trois semaines ni en trois mois.
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C’est donc Amélie Oudéa-Castéra et, surtout, l’ensemble de son cabinet et de ses collaborateurs avertis qui reprennent le flambeau. Son parcours est, c’est le moins qu’on puisse dire, extrêmement brillant. Ancienne joueuse de tennis professionnelle (elle en a gardé le goût de la compétition, du mérite et de l’effort acharné qui ne sont pas vraiment les valeurs de l’EPS actuelle), elle a ensuite enchaîné Science-Po, l’Essec et l’Ena (promotion Léopold Sédar-Senghor comme Emmanuel Macron). Nommée dès 2004 à la Cour des Comptes puis directrice marketing du groupe Axa, elle accède au poste de ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques au sein du gouvernement Élisabeth Borne en mai 2022. Ministère qu’elle conserve en plus, désormais, de l’Éducation nationale.
Deux ministères discordants ?
Et c’est bien là, nous dit-on, l’ombre au tableau : comment peut-on sérieusement envisager qu’un même ministre prenne sous sa responsabilité la réforme de l’éducation de la jeunesse de la nation et l’organisation d’un événement d’envergure internationale comme les Jeux Olympiques ? Chacun y va de sa petite ritournelle cinglante : Oudéa-Castéra se penchera peut-être sur l’éducation entre le golf et le tennis ou bien pendant le foot mais à la mi-temps, s’il lui reste un peu d’énergie. N’est-ce pas se moquer du monde que de nous donner ainsi un demi-ministre de l’Éducation qui n’a d’yeux que pour les J.O.? L’Éducation et les Jeux, quel bel oxymore !
Nouveau faux procès encore, pour plusieurs raisons. D’abord parce que l’organisation des Jeux Olympiques est un marathon qui s’organise depuis des années déjà et en collaboration étroite avec l’Intérieur. Un événement si risqué, eu égard aux risques réels d’attentats islamistes, ne s’organise pas six mois avant et le peaufinage va bien moins accaparer intellectuellement notre ministre que ses collaborateurs les plus renseignés. Ensuite parce que, sur l’École, les thèmes essentiels ont bien été mis au jour par Gabriel Attal et qu’il n’est pas question de tout bouleverser. Enfin parce que l’immense capacité de travail, le perfectionnisme d’Amélie Oudéa-Castéra ainsi que sa capacité à s’entourer de personnes extrêmement compétentes -qui sont le plus au fait des rouages du système éducatif actuel- sont reconnus. A ce stade toutes les polémiques sur le prétendu dépérissement du ministère de l’Education sous prétexte qu’il sera associé à celui des sports sont dénuées d’intérêt. En mythifiant le ministre qui, tel Atlas, porte la charge du monde sur ses frêles épaules, on oublie tout le travail bien réel et invisible des personnes les plus spécialisées et compétentes. Autrement dit, on fait le jeu de la communication du macronisme en se focalisant sur les quelques personnalités mises en lumière (Macron a mis Rachida Dati à la Culture, il a donc “entendu” le peuple qui “penche” à droite!).
Ce qui compte, la seule chose qui ait une réelle importance est que les objectifs fixés par Attal et repris par Oudéa-Castéra soient, par une action concertée et collective au sein du ministère, vraiment mis en œuvre.
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Voilà pourquoi la cérémonie de passation de pouvoir entre Gabriel Attal et Amélie Oudéa-Castéra nous donne envie d’y croire, sincèrement. Quand on prend au mot les trois “piliers” mentionnés par notre nouvelle ministre pour l’École on ne peut qu’acquiescer : 1/ Restaurer l’exigence fondée sur le “choc des savoirs” et réaffirmer “l’autorité de nos professeurs qui doivent pouvoir exercer leur métier dans un cadre apaisé et respectueux”. 2/ Régénérer le métier d’enseignant avec notamment une revalorisation et une action renforcée concernant la formation initiale. 3/ Construire une école de l’épanouissement républicain en faisant respecter la laïcité et en permettant à tous les talents (intellectuels, artistiques, sportifs) de se réaliser.
On ajouterait bien : virer rapidement tous les tenants du pédagogisme étroit. Sauf à considérer, comme dans 1984 que les mots disent tout et leur contraire, qu’ils n’ont donc plus la moindre signification, on devrait se réjouir d’un si bel élan qui redonne foi en la possibilité de la fin du déclassement éducatif français souligné notamment par les enquêtes PISA. Vous jugerez peut-être ce propos promotionnel. Mais s’intéresser, même de loin, à la politique c’est, au fond, avoir foi en elle et il faut alors sauter le pas et prendre le risque de faire confiance aux acteurs de cette politique.
Merci à Monsieur Brighelli qui m’a donné des idées pour la rédaction de cet article.
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