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AME: les 3500 médecins qui promettent de « désobéir » sont dans la posture


AME: les 3500 médecins qui promettent de « désobéir » sont dans la posture
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Le Sénat vient d’adopter un amendement supprimant l’Aide Médicale d’État (AME), laquelle est destinée à couvrir les frais de santé des étrangers en France. Il n’est pas dit que cela restera dans la loi Immigration définitive, mais, en cas d’application de la mesure, quelques 3500 médecins promettent de respecter leur serment d’Hippocrate de la manière la plus stricte et de « donner des soins gratuits à l’indigent »… Analyse.


Ah, que la posture est belle ! 3500 de mes confrères, indignés par le risque – très théorique – d’une suppression du dispositif d’Aide Médicale d’État permettant la prise en charge des soins des étrangers sans-papiers résidant en France par suite d’un amendement déposé par le Sénat, viennent de transmettre à l’AFP un appel dans lequel ils s’engagent à « continuer de soigner gratuitement » ces malades[1].

Légitime de principe

Pour ne pas être accusé de xénophobie primaire ou d’oubli du serment d’Hippocrate, je tiens avant d’en venir au fait à énoncer un fait indéniable : il faut qu’existe un dispositif d’accès aux soins pour ces personnes. C’est même une absolue nécessité de santé publique, car on ne sait que trop bien que l’absence de prise en charge financière dissuade le plus souvent le malade de venir consulter tant que son état n’est pas dramatique. Or il importe évidement de pouvoir soigner ceux dont la santé est en danger, à la fois pour eux-mêmes – car il n’est pas plus moral de laisser mourir d’insuffisance cardiaque un étranger en situation irrégulière qu’un SDF français – et pour les autres – car il serait totalement inconséquent de laisser prospérer les épidémies chez les sans-papiers en imaginant qu’elles n’iraient pas ensuite contaminer le reste de la population. Personne, donc, ou presque, à part quelques incurables xénophobes, ne remet en cause dans les rangs du corps médical la légitimité du principe de l’AME. C’est le dévoiement de ce principe qui est très largement reproché, notamment l’élargissement progressif du champ d’application de ce dispositif à des affections ne mettant absolument pas en danger la santé des sans-papiers et de la population dans son ensemble, au nom d’un droit absolu à l’accès aux soins. Dévoiement qui a conduit à l’explosion du coût de l’AME, passé depuis sa création de quelques dizaines de millions d’euros annuels à 1,2 milliards l’an dernier.

La fable de la « gratuité »

Ce m’amuse donc, – ou me scandalise, je ne sais pas trop – dans cet appel de mes confrères, c’est son évidente mauvaise foi : personne, parmi eux, ne va continuer à soigner les sans-papiers « gratuitement ». Si le dispositif devait être totalement abrogé – ce dont je doute très fortement, et qui n’est d’ailleurs pas prévu par l’amendement sénatorial – ils pourraient tout au plus – et en encore, uniquement les médecins libéraux – commencer à les soigner gratuitement, car l’AME a justement pour but de solvabiliser les soins de ces patients ! Pour chacune des consultations que j’ai eu l’occasion d’effectuer depuis des années pour un de ses bénéficiaires j’ai ainsi pu toucher un montant équivalent au tarif conventionnel, versé par l’État aux frais des contribuables. Quant à mes confrères hospitaliers, eux, ils ne sont pas payés « à l’acte » (hormis ceux, souvent au sommet de la hiérarchie hospitalière, qui sont autorisés à exercer une activité privée au sein de l’hôpital public). Ils ne soigneraient donc pas plus « gratuitement » les sans-papiers sans l’AME qu’ils ne le faisaient avec l’AME, leur traitement leur étant versé de façon inchangée en fin de mois… La réforme de l’AME envisagée par les sénateurs ne serait donc absolument pas incompatible avec l’interprétation la plus littérale du serment d’Hippocrate (« je donnerai des soins gratuits à l’indigent »), et constituerait même l’occasion de faire appel pour de bon au sens éthique de mes confrères…

Que comprendre de cet appel, alors ? Que certains médecins sont de grands naïfs, et qu’ils cèdent trop facilement aux sirènes de la notoriété et ajoutant leur nom en bas d’un appel promis à une large publicité ? C’est probable, mais ce n’est pas le plus grave. Qu’une part de la profession préfère la posture idéologique – être de plain-pied dans le « camp du bien » – à une présentation honnête de la complexité des faits ? C’est possible, hélas, et c’est infiniment plus préoccupant…


[1] https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/11/11/suppression-de-l-ame-3-500-medecins-menacent-de-desobeir-si-l-aide-medicale-d-etat-disparait_6199557_3224.html



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est médecin et auteur/écrivain.

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