Appréciés des Français, les commerces subissent de plein fouet l’inégale concurrence des géants du e-commerce, Amazon en tête, tout en étant soumis à des taxes dont s’exonèrent ces derniers. Seule une réelle équité fiscale permettrait de sauver ce qu’il reste de nos centres-villes, véritables vitrines d’une certaine qualité de vie à la française. Tribune.
Que serait la France sans ses centres-villes ? Et que seraient ces mêmes centres-villes sans leurs commerces ? Cafés, boulangeries, épiceries, fleuristes, quincailleries, cordonniers, boucheries-charcuteries, supérettes, coiffeurs, librairies, boutiques de vêtements, de chaussures ou de décoration… : l’Hexagone compte plus de 500 000 commerces de détail. Plébiscités par près de six Français sur dix (59%), nos centres-villes, qu’ils soient en milieu urbain ou rural, sont également appréciés des touristes étrangers, qui y voient, à raison, l’un des lieux où réside une part de l’âme de la France éternelle. Une qualité de vie que l’on ne retrouve pas, ou plus, ailleurs. Plus prosaïquement, nos commerces de proximité représentent 11 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel et les commerces français emploient quelque 3,5 millions de salariés.
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N’en déplaise aux thuriféraires de la mondialisation et autres prophètes de la « start-up nation », nos commerces traditionnels continuent donc de peser dans la balance. Pourtant, ils souffrent, et entraînent dans leur déclin nos centres-villes : la faute, surtout, à l’explosion du e-commerce, dont le chiffre d’affaires devrait atteindre, en France, les 100 milliards d’euros d’ici à la fin de l’année. Loin de nous l’idée de vouer aux gémonies les évolutions, bien naturelles, des usages des consommateurs : lutter contre la marée n’a jamais fait reculer l’océan. Mais le succès des plateformes de vente en ligne ne doit pas seulement à la révolution numérique. Il repose aussi, dans une large mesure, sur une concurrence injuste et inégale, biaisée par notre propre politique fiscale, qui au contraire de la société française n’a pas su s’adapter.
Matraquage fiscal d’un côté, complaisance de l’autre
Qu’on en juge : l’ensemble des commerces exerçant leur activité sur le territoire français sont, par exemple, soumis à la TASCOM (Taxe sur les surfaces commerciales), un impôt ayant rapporté, en 2017, pas moins de 286 millions d’euros aux caisses de l’Etat. Tous les commerces – ou presque : les grandes plateformes de e-commerce, au premier rang desquelles Amazon, sont en effet exemptées de cette taxe. Et ce alors qu’Amazon et consorts exercent, avec leurs gigantesques entrepôts, une emprise foncière qui n’a rien de négligeable, contribuant par ailleurs à l’artificialisation supplémentaire des sols. En tout, ce sont 47 milliards d’euros qui sont annuellement prélevés par le Trésor public sur les commerces physiques, à comparer aux montants ridicules exigés, du bout des lèvres, de la part des géants américains du web, qui sont passés maîtres dans l’art de l’optimisation et de l’évasion fiscales à grande échelle.
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En d’autres termes, on ne pourra parler, comme le font les technocrates européens, de concurrence « libre et non faussée » entre acteurs du commerce physique et ceux du e-commerce, que lorsqu’un semblant d’équité fiscale verra le jour entre eux. Or nous en sommes loin, très loin même. Et ce n’est pas la « taxe GAFA », adoptée par la France au cours de l’été dernier, qui changera la donne : véritable usine à gaz, critiquée comme telle par la quasi-totalité de la communauté des économistes, elle souffre du double handicap d’avoir été uniquement mise en place par les autorités françaises, et d’être aisément contournable par les entreprises qu’elle est supposée cibler. A l’image, toujours, d’Amazon, l’entreprise de Jeff Bezos ayant, toute honte bue, immédiatement annoncé son intention de répercuter la taxe de 3% sur son chiffre d’affaires réalisé en France sur les commerçants utilisant sa plateforme.
Pour une véritable équité fiscale
Autrement dit, ce sont les consommateurs français qui, depuis le 1er octobre, paient à la place d’Amazon. Il aurait été bien plus juste et pertinent, comme l’ont récemment proposé plusieurs députés, de soumettre les entrepôts et centres logistiques des géants du e-commerce à la même TASCOM dont s’acquittent les supermarchés et commerces dont la surface dépasse 400 mètres carrés. Plus généralement, et comme le démontrent les limites inhérentes à la taxe GAFA tricolore, aucune solution ne pourra rétablir l’équité fiscale si elle n’est pas débattue, adoptée et mise en pratique au niveau international ou, au moins, européen. C’est le sujet, épineux entre tous, sur lequel ont planché, les 17 et 18 octobre à Washington, les membres du G20 – le président américain, Donald Trump, ne faisant pas mystère de son opposition à toute régulation ciblant ses fleurons californiens. C’est également l’une des priorités de la nouvelle Commission européenne, si l’on en croit les dires de la commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager, lors de son audition devant les eurodéputés, qui n’a cependant pu que reconnaître qu’il est « difficile d’être optimiste en matière de fiscalité européenne ».
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Si l’espoir ne vient ni de Bruxelles ni des instances internationales, rien ne nous autorise pour autant à sacrifier définitivement nos commerces et centres-villes sur l’autel de la disruption numérique. Nous devons alerter nos décideurs locaux et nationaux sur ce sujet. Il appartient à tous les acteurs concernés, aux électeurs, à la société civile et aux leaders d’opinion de mettre leurs élus face à leurs responsabilités. Il en va de la vitalité, voire de la survie, de nos territoires ; mais aussi d’un peu de ce supplément d’âme qui, loin des affres de la globalisation, fait la France que nous aimons.
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