Amazon a la puissance d’un Etat sans en assumer les responsabilités. Avec son « Marketplace », le numéro un de la vente en ligne est devenu, pour des milliers de petites entreprises, un intermédiaire incontournable, qui peut imposer des conditions drastiques et des règles opaques à des partenaires vassalisés. Quelque 10 000 PME françaises subissent ainsi le fonctionnement arbitraire et bureaucratique d’Amazon dénoncé, sans grand succès jusque-là, par Mounir Mahjoubi, l’ex-secrétaire d’Etat chargé du Numérique.
À l’origine, internet ne promettait rien de moins que l’émancipation planétaire du citoyen lambda. Affranchi de l’emprise des autorités pyramidales et des médias hiérarchiques, délivré de sa solitude, de son cercle social trop restreint, il serait libre de se connecter à la multiplicité de ses concitoyens en ligne à travers une authentique relation fusionnelle. Dans ce nouveau domaine enchanté, il serait à même de co-créer avec ses pairs des projets utopiques réalisables, d’engager des actions politiques de forme inédite et d’inventer une sociabilité humaine jusqu’alors inconnue.
En 1995, Nicholas Negroponte, professeur au MIT, a ainsi déclaré qu’internet devait « aplatir les organisations, mondialiser la société, décentraliser le contrôle, et contribuer à répandre l’harmonie entre les individus ». Cette vision d’une hyperconnectivité entre tous les êtres humains, baptisée « informatique ubiquitaire », car rendue possible par le développement d’appareils portables, prolongeait bien l’esprit anarchique de la contre-culture californienne des années 1960 et 1970, de cette culture qui avait été le berceau de ce qu’on appelle aujourd’hui la « révolution de l’ordinateur personnel ».[tooltips content= »John Markoff, What the Dormouse Said: How the Sixties Counter-Culture Shaped the Personal Computer Industry, Penguin, 2005 ; Fed Turner, Aux sources de l’utopie numérique : de la contre-culture à la cyberculture, C&F, 2013 (2006 pour l’édition en anglais). »]1[/tooltips]
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Ce nouveau royaume de liberté se définissait en opposition à l’État traditionnel et à son ingérence oppressive dans la vie de ses sujets. La fameuse « Déclaration d’indépendance du cyberespace », lancée en 1996 par John Perry Barlow, ancien parolier du groupe de rock Grateful Dead, apostrophait les « gouvernements du monde industriel », les enjoignant de rester loin de la nouvelle Terre promise : « Vous n’êtes pas les bienvenus parmi nous. Vous n’avez pas de souveraineté où nous nous rassemblons. » Et pourtant, une grande interrogation se dessinait en creux dans cette admonestation solennelle : en ligne, qui exerce la souveraineté ? Qui détient le pouvoir ? Qui incarne la justice ? Cette interrogation reste plus actuelle que jamais à l’heure où les béhémoths de la nouvelle technologie, Google, Apple, Facebook et Amazon, constituent de véritables États dans l’État, ou peut-être plutôt des États au-dessus des États. Leur statut paradoxal leur confère certaines des
