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Amal, un esprit libre — et mort

Un film belge présentant une prof confrontée à l'islamisme...


Amal, un esprit libre — et mort
Lubna Azabal dans "Amal, un esprit libre" (2024) de Jawad Rhalib © UFO Distrib

Amal est le film dont on parle à mi-voix: nombre de distributeurs ne se sont pas risqués à programmer une œuvre qui malmène sérieusement l’idée que nous nous faisons des salafistes — des agneaux trop peu nombreux pour présenter un quelconque danger. Notre chroniqueur, mandaté pour le voir à Marseille, en est revenu visiblement enchanté — et soucieux.


Il est des boussoles d’autant plus fiables qu’elles indiquent systématiquement le sud. Prenez Libé, par exemple : Luc Chessel descend en flammes Amal, un esprit libre, le film de Jawad Rhalib sorti le 17 avril : « Sous prétexte de « réalisme », écrit cet aimable garçon, le film de Jawad Rhalib dresse un portrait caricatural et hypocrite de l’islamisme homophobe. Faux film sans cœur ni substance, fabriqué pour être vendu à la horde, un public peut-être grandissant, des passionnés de la « laïcité », qui en tout domaine pourrissent ce qu’ils croient vaillamment défendre. »
Fatalitas ! L’épouvantail « fasciste » se draperait désormais dans les oripeaux de la laïcité — enfin, ce que Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène, chargés jadis de la dépouiller de toute vertu républicaine, en ont laissé à leurs successeurs de l’Observatoire de la laïcité.
Je dois à la vérité de dire que dans le même temps, l’Huma parle d’un « magnifique thriller, implacable et éprouvant ». L’un est à gauche et l’autre pas — à vous de trier.


Rassurez-vous tout de suite : Amal est un film impeccablement scénarisé, joué, filmé et monté. Il y a bien longtemps que je n’avais pas vu dans un film francophone ce soin du cadrage, où un plan en plongée en dit plus long sur l’état d’esprit (dépressif) du personnage que trente discours didactiques.
Il y a par exemple un plan furtif où Amal, l’enseignante de Lettres héroïne de cette épouvantable histoire, range ses livres après qu’un commando islamiste a dévasté son appartement. Et dans un plan furtif, on voit les 1001 nuits
Avez-vous lu les 1001 nuits ? Non seulement c’est le plus grand roman jamais écrit en langue arabe, mais c’est l’un des dix livres essentiels de l’humanité. L’un de ses personnages récurrents est le calife de Bagdad, Haroun al Rachid — qui échangea des ambassadeurs avec Charlemagne, à qui il avait offert une clepsydre. Régulièrement, le calife descend dans les rues de Bagdad, en civil si je puis dire, accompagné de son poète favori, Abû Nuwâs.

Mauvaise idée…

Une classe d’élèves essentiellement immigrés de cette banlieue bruxelloise — Molenbeek peut-être — a pris à partie une fille désignée arbitrairement comme « sale lesbienne » (c’est sidérant comme l’image de la lesbienne hante les consciences musulmanes, un souvenir de ce que leurs arrière-grand-mères faisaient dans les harems avec les autres concubines, sans doute, l’iconographie sur le sujet est immense). Amal, elle-même musulmane, mais libérée, fumant, buvant, vivant maritalement avec un roumi) a cru bon de leur faire lire quelques poèmes d’Abû Nuwâs, plein de vin, de liberté, de libertinage et de beaux garçons : l’islam n’avait pas encore eu l’idée, au VIIIe siècle, de se parer d’une vertu farouche et homophobe.
Quelle idée a eu là l’enseignante ! Les parents d’élèves (en burka intégrale pour certaines, là-bas aussi ils entrent dans les établissements scolaires habillés pour impressionner et occuper le terrain) viennent protester — en hurlant, une mode de là-bas. De fil en aiguille, la jeune Monia ne supportera pas longtemps les déferlements de haine, avec mises en scène de mise à mort, qui s’étalent sur les rézosocios. Quant à Amal (attention, divulgâchage !), elle sera poignardée dans la rue par une autre de ses élèves, radicalisée par le prof de religion : elle remet ostensiblement son voile en sortant de classe, avec la mine extasiée de la Vraie Croyante. En vérité je vous le dis, une femme voilée, c’est louche ; une femme voilée radicalisée, c’est mortel.
Alors, cent mille femmes voilées, comme à Marseille…

Radicalisée, Jalila l’a été par le prof de religion, un certain Nabil — dont on nous dit innocemment qu’il est parti trois ans auparavant faire un stage de salafisme en Egypte. C’est l’un des personnages principaux. Au contraire des adultes qu’il fréquente et qu’il conseille, il n’exhibe pas sur son front la tabaâ, la marque laissée par les chocs répétés de la tête sur le sol pendant la prière — la marque des vrais croyants : boum, boum, boum ! qui est là, c’est un croyant qui se cogne le front. Non : il porte un costume, une cravate, il est occidentalisé au possible : en fait, il est un Frère sous couverture. Un parfait petit Tariq.

… mauvais esprit français

(Parenthèse. Les cours de religion sont obligatoires dans les écoles publiques belges. Il est question de les rendre facultatifs à la rentrée 2024. Mais j’ai dans l’idée que les cagots de toutes farines sauront se mobiliser pour préserver la poule aux œufs d’or — et leur influence sur leurs ouailles).
Ce film prenant, sans temps morts, a été co-produit par la RTBF. J’attends avec impatience (et scepticisme, je l’avoue) que France Télévisions diffuse un film sur la montée du salafisme dans les écoles françaises.

Mais où ai-je la tête… Ce n’est pas chez nous que l’on tuerait des enseignants en criant « Dieu est grand » !




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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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