Il faut bien qu’il y ait quelques bonnes nouvelles après un hiver interminable, un début de printemps glacial, des plans sociaux à la chaîne, des ministres plus très intègres et une droite revancharde qui cristallise sur le mariage gay son éternel procès en illégitimité dès qu’un gouvernement de gauche est au pouvoir (et pourtant celui-là, ce n’est quand même pas Allende).
La bonne nouvelle, c’est que deux départements, en Alsace, ne vont pas disparaître. Le département, c’est l’ADN de la République tandis que la Région, c’est l’ADN de l’Europe ou celui de l’Allemagne avec ses Länder mais par les temps qui courent, ça revient au même, Allemagne, Europe…
Il y a quelque chose qui tue plus certainement l’exception française que la soumission aux critères néo-libéraux de Bruxelles ou de Berlin comme cette loi sur la flexibilisation du travail qui vient d’être votée à l’Assemblée dans l’indifférence générale. Ce quelque chose, c’est la façon dont l’UE tente tranquillement de détruire les Etats afin d’asseoir son pouvoir sur les régions qui sont des morceaux moins gros à avaler et plus faciles à digérer. Pour cela, il suffit de mélanger subtilement la souffrance sociale et la pulsion identitaire. Ça marche du feu de Dieu en Espagne, cette « communauté de nations » qui semble sur le point de les perdre les unes après les autres, comme le Pays basque ou la Catalogne qui sont quasiment en sécession. Mais on pourrait aussi parler du Royaume-Uni et de l’Ecosse, de la Belgique et de la Flandre, de l’Italie et de la Lombardie. Ça craque forcément, à la longue. Au début, on ne veut pas payer pour les chômeurs de son pays et à la fin on ne veut plus faire partie du même pays que les chômeurs. Penser global et se bunkériser local, pour détourner un célèbre slogan altermondialiste.
La France, elle, résiste au moins sur ce point-là. C’est que de Louis XIV à De Gaulle en passant par Robespierre, il y a une solution de continuité dans l’idée que la France, c’est autre chose qu’un conglomérat de danseurs folkloriques qui parlent le patois. On nous a bien forcé la main pour signer la charte sur les langues régionales, il n’empêche que les écoles Diwan ne reçoivent pas de financement de l’Etat et que les Corses, dès qu’on leur demande leur avis comme en 2003, ils préfèrent rester Français.
Le camouflet du non alsacien ne s’adresse pas, comme on peut le lire ici et là, à une classe politique qui ne montrerait pas ces jours-ci son meilleur visage. Non, ce camouflet est dans le refus plus ou moins conscient d’un peuple (qui même en Alsace est d’abord le peuple français) de ce travail de sape géopolitique diffus où à force de multiplier les lois de décentralisation les plus idiotes puisqu’elles favorisent surtout les baronnies locales et la corruption qui va avec, on donne des idées à des régions qui ont une histoire particulière : les Basques, les Bretons, les Alsaciens, les Savoyards.
La sagesse de la république jacobine avait été d’éviter dans la mesure du possible que ces régions coïncident avec les anciennes provinces et les avaient découpées en départements. Vouloir les faire refusionner, c’est évidemment vouloir recréer un sentiment régionaliste qui le plus souvent est un sentiment identitaire, au sens extrême droitiste du terme. Allez donc vous promener en Flandre française pour voir à quoi ressemble politiquement la minorité de jeunes gens à la recherche de leurs racines. C’est édifiant.
Il faut être une nation, comme la nation française et son droit du sol, pour savoir qu’être un Français n’est pas une question de formule sanguine mais une articulation entre un sentiment d’appartenance et une ouverture à l’universel.
Cette articulation est la seule garantie d’une égalité entre les citoyens et ce qui a fait peur à certains électeurs de la gauche ce dimanche, c’est qu’une Alsace fusionnée ait pu obtenir des dérogations, par exemple, dans le code du travail. Un genre de nouveau concordat repeint aux couleurs du Medef.
Aux résultats de ce référendum, quelques vers d’Aragon me sont revenus en mémoire. Cela m’arrive souvent quand je suis content :
« Je puis dans mon jardin de Seine et Oise
Me promener ce soir avec de nouveaux yeux
Car la vie a repris son odeur de framboise. »
La Seine et Oise n’existe plus mais le Haut-Rhin et le Bas-Rhin, si. Et c’est tant mieux. Il ne nous reste plus qu’à attendre les premières framboises…
*Photo : wallyg.
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