Quand Daech a débuté sa fulgurante chevauchée à travers l’Irak et la Syrie à l’été 2014, Al-Qaïda était pris de vitesse. La proclamation du califat du haut de la mosquée de Mossoul par Abou Bakr Al Bagdadi avait relégué son chef, le vieil Ayman Al-Zawahiri, au rang de retraité du djihad.
L’État islamique inachevé
Deux ans plus tard, l’étoile de Daech pâlit à son tour. Un discours ne suffit pas à faire un État. Menacée sur tous les fronts autour de ses derniers bastions de Raqqa, Fallouja, Mossoul ou Der-Ez-Zor et privée de ses ressources, la brève tentative de restauration califale a fait long feu. L’Etat islamique n’a jamais eu la consistance gouvernementale escomptée. Ivre de ses premières conquêtes et incapable de formaliser des alliances, Daech s’est rêvé trop vite en Empire de l’islam avant même de former un Etat islamique. Et il s’est épuisé.
Dès lors, Daech multiplie les attentats de grande ampleur pour terroriser et impressionner ses adversaires. Mais surtout pour faire diversion et prouver que son pouvoir de nuisance est intact. L’attaque d’hier contre une discothèque gay de Floride a fortement choqué l’Amérique. «L’homophobie tue!», entendait-on en 2013. Mais l’«homophobe» se contentait alors de porter le sweat rose de la Manif pour tous…
Al-Nosra relativement épargné par la coalition
Cela dit, la détermination des ennemis les plus prudents de Daech comme Barack Obama devrait se trouver renforcer. Les terroristes du califat auto-proclamé sont terrorisés par la traque de la coalition. Au point qu’on ignore si un commandement centralise toujours ces jeunes daechiens. Al-Bagdadi reste invisible et son leadership a quelque chose de virtuel. La bataille de la communication serait par conséquent en voie d’être perdue par ses troupes.
Le repli intérieur de Daech pourrait profiter à son vieil ennemi, Al-Qaïda, dont il est issu. Tout d’abord parce que le Front Al-Nosra (Al-Qaïda en Syrie) est globalement épargné par la coalition occidentale anti-Daech. Al-Nosra profite de ses très bonnes relations avec « l’opposition modérée », toujours soutenue par nos alliés turco-saoudiens, pour se bâtir un fief à Idlib. La coalition se focalise sur Daech en Mésopotamie.
Al-Qaïda pourrait aussi bénéficier du repli progressif occidental en Afghanistan. Al-Zawahiri vient de rendre publique son allégeance au nouveau chef des talibans. Il n’est pas impossible qu’Al-Qaïda reconstitue à terme son ancien sanctuaire afghan. Sa franchise yéménite (AQPA) profite également du chaos provoqué par la guerre que les pétromonarchies du Golfe mènent contre les chiites du sud de la péninsule arabique.
Attentats spectaculaires
Pendant ce temps, Al-Qaïda au Maghreb islamique se réarticule dans le Sahel. Al-Mourabitoune, groupe du chef djihadiste algérien Mokhtar Belmokhtar et succursale d’AQMI, a frappé au début du mois à Gao. Bref, Al-Qaïda semble reconstituer ses forces quand Daech essuie des revers très importants et doit se contenter d’attentats spectaculaires à Damas, Bagdad et peut-être Orlando[1. Si l’Etat islamique a revendiqué l’attentat d’hier, l’allégeance du terroriste à l’E.I n’a pas été établie avec certitude.]. Les allégeances et les passages d’un groupe djihadiste à l’autre étant très mouvants, Al-Qaïda pourrait rapidement profiter des déboires de Daech au Levant mais aussi en Libye.
Al-Qaïda a aussi l’avantage d’appliquer depuis toujours sur un schéma de guérilla clandestine, mixte d’attentats à l’international et de maquis djihadistes autonomes dans le monde musulman.
Son expérience dans ce domaine est sans égal et ses hauts dirigeants peuvent se targuer d’expériences plus cosmopolites que l’Etat islamique. Daech avait ambitionné de changer de catégorie et de sortir de l’ombre avec un projet d’Etat islamique au cœur du Moyen-Orient. Mais rapidement stoppé à Kobané, il a dû entamer sa mue vers un système de franchises régionales et de cellules dormantes au sein des sociétés occidentales. Un retour progressif à l’organisation type d’Al-Qaïda mais aussi une douloureuse remise en cause de ses plans. La renonciation inavouée de son projet grandiose réduit le potentiel d’attraction de Daech parmi la jeunesse islamiste d’Europe et d’ailleurs. Laquelle voit sans doute moins de romantisme à effectuer une tuerie qu’une croisade djihadiste en Syrie.
En fin de compte, Al-Bagdadi se voulait Calife Ibrahim et se retrouve finalement simple émir. Mais on aurait tort de se réjouir. Deux organisations se font concurrence pour frapper les sociétés occidentales. Et le ramadan commence très mal cette année.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !