Connaître l’ennemi islamiste pour le combattre


Connaître l’ennemi islamiste pour le combattre

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Une histoire circule sur l’incurie des services du renseignement américain et une certaine incompétence du Pentagone quant au monde arabo-musulman : l’avant-veille des attaques du 11 septembre, il n’y avait que… deux traducteurs orientaux en service dont un en langue perse. Concernant ces imprudences et légèretés, Fabrizio Calvi a tout écrit à ce sujet dans son 11 Septembre, la Contre-enquête (Fayard 2011) qui retrace presque jour par jour la chronologie des erreurs et l’incompréhension lacunaire des services spéciaux face à un Jihad sanglant annoncé de toute part. Avant de recenser l’afflux d’obscures théories complotistes, dénoncer les ravages du conspirationnisme et muscler les arsenaux législatifs et effectifs de police, on doit nécessairement apprendre puis connaître tout de la culture de l’ennemi, son environnement, son histoire, ses déterminismes et perspectives.

Ce n’est pas tant la faille sécuritaire ou le défaut d’organisation des services de renseignement qui sont en cause dès lors qu’un budget sérieux comblerait la plupart des interrogations et éteindrait le feu nourri de polémiques stériles. Il n’est décemment pas possible de mettre un agent derrière chaque « fiche S » ni d’auditionner le moindre imam au prêche enflammé contre l’Occident. Les commissariats sont suffisamment ensevelis par le contrôle judiciaire des délinquants de droit commun et le droit français est encore celui qui réprime le délit quand il est caractérisé. Il n’est pas davantage envisageable de défricher ou légiférer sur le no man’s land que sont devenus les réseaux sociaux, la liberté d’échanger 2.0 ayant été inventée avec sa communication fanatique et raciste, comme le train et son déraillement. Quant à anticiper le départ ou prévenir le retour de djihadistes des terres syriennes, irakiennes ou yéménites, cela voudrait dire repenser voire construire une coopération d’entraide judiciaire européenne, créer un réseau vigipirate supranational qui placerait sous perfusion et surveillance quotidienne l’Espagne, la Turquie, la Belgique etc. C’est la toile de Pénélope qu’aucun gouvernant n’a la force de tisser.

Il reste néanmoins urgent de se préoccuper des mouvements que l’islamisme rencontre dans l’évolution de ses impulsions idéologiques. Comprendre que la guerre fratricide que se livrent les chiites et les sunnites oblige les exécutifs occidentaux à un exercice d’équilibriste impossible entre un Iran puissant à réhabiliter et les susceptibilités de la puissance saoudienne à gérer. Que cet affrontement séculaire oblige les partisans des uns et des autres à rivaliser d’attaques plus meurtrières et de poussées hégémoniques qui finissent par déborder sur le Vieux continent.

Déchiffrer que les allégeances faites à Daech sont plus dangereuses que le label des franchisés Al-Qaïda d’un Ayman al-Zawahiri au charisme moribond. Tout cela pour accepter des modes opératoires modernes qui tuent bien plus sauvagement. L’Orient n’est plus le terrain qu’ils privilégient ; ils préfèrent supplicier l’Occident. Ce n’est plus le kouffar ou mécréant qui est visé en Europe mais le perverti, ce n’est plus aimer la mort plus que la vie, c’est surtout humilier d’abord et faire trembler. Ce ne sont plus seulement des martyrs mais des combattants. Ce ne sont plus des réseaux islamistes mais des kataëb ou cellules individualisées et unités réduites de terroristes. D’un émir à un calife, la galaxie jihadiste vient faire trembler l’Occident et sa troisième génération se revigore.

La défaite de cette stratégie à court terme doit obliger les pouvoirs publics à repenser la lutte contre le terrorisme qui s’enracine désormais sur le sol français. S’ils veulent déstabiliser la liberté à la française, il faudra connaître sur le bout des doigts leurs logiques et perceptions. Une organisation politique et idéologique se combat avec du sens et Sun Tzu, dans L’art de la guerre, privilégiait déjà de connaître son ennemi. Si l’urgence est de mise et la réaction institutionnelle indispensable, il importe de promouvoir l’étude des mondes arabo-musulmans, de différencier la clique du groupuscule armé, de distinguer entre les idéologies intérieures et les influences étrangères, d’admettre que les « loups solitaires » n’existent pas. Et c’est ainsi que la douleur immense et légitime des attentats du 13 novembre 2015, la colère salvatrice et le souci de vivre comme « avant », laisseront place à une véritable tentative d’éradication des entreprises terroristes.

*Photo: Sipa. Numéro de reportage : AP21740552_000002.



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est avocat au barreau de Paris. Depuis plus de dix ans, il intervient essentiellement en droit public et en droit pénal. Auteur de plusieurs ouvrages et articles en droit administratif, il est très investi sur les problématiques contemporaines du monde arabo-musulman et intervient régulièrement dans des colloques ou communications sur ces thèmes. Il a obtenu devant le Tribunal administratif de Montreuil l’annulation de la citoyenneté d’honneur accordée à Georges Ibrahim Abdallah.

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