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Alphabet woke: non-acquis!

Massimo Nespolo, un prof dans la tourmente


Alphabet woke: non-acquis!
La Faculte des Sciences et Technologies, Nancy, 2008 © POL EMILE/SIPA

À l’Université de Lorraine, ironiser à propos de l’alphabet LGBT entraîne une procédure disciplinaire. Et la cellule Égalité, Diversité et Inclusion de l’établissement a installé des « safe boxes » où glisser les dénonciations en cas de blasphème diversitaire. Pourtant, Massimo Nespolo, enseignant-chercheur à la Faculté des Sciences et Technologies, n’a pas renoncé à jouer les trublions.


« Un corps étudiant plutôt à gauche, qui suit les cours d’un corps enseignant très à gauche, et qui est encadré par un corps administratif démesurément à gauche ». Voici le tableau du milieu universitaire américain que dressait en 2018, dans le New York Times, Samuel Abrams, politologue et chercheur à l’AEI (American Enterprise Institute). En 2023 ? C’est pire. 77% des profs à Harvard se disent à gauche (dont 32% très à gauche), 20% centristes, 2,5% conservateurs et 0,4% très conservateurs[1].

Au Royaume-Uni, le politologue Eric Kaufmann vient de fonder le Centre de Science Sociale Hétérodoxe (Center for Heterodox Social Science, Université de Buckingham) où seront explorés les sujets tabous. Il est convaincu que la pire des menaces n’est pas la cancel culture mais l’auto-censure due à l’homogénéité politique. Dans les universités les plus prestigieuses du Royaume-Uni, d’Australie, ou d’Amérique du Nord, parmi les chercheurs en sciences sociales qui se disent conservateurs, trois sur quatre avouent s’auto-censurer, rappelait-il lors du lancement du nouveau centre fin février. Dans toute l’anglosphère, la liberté académique pâtit de ce défaut de pluralisme.

Et la France n’y coupe pas. Chez nous aussi, le conformisme asphyxie le débat au sein d’une éducation supérieure majoritairement woke. Saluons, en passant, le travail de L’Observatoire des Idéologies Identitaires, collectif d’une centaine d’universitaires qui s’opposent à la déconstruction des savoirs et l’intrusion du militantisme woke à l’université.

Des commentaires non conformes signalés à Nancy

L’Université de Lorraine (UL), gigantesque pôle académique à l’Est du pays, fruit de la fusion de quatre facs, est devenue ces derniers temps l’un de ces temples du wokisme. Mais Massimo Nespolo, 59 ans, né à Sienne, chercheur et professeur à la Faculté des Sciences et Technologies, ne peut s’empêcher de jouer les mouches du coche. Il a, notamment, eu l’outrecuidance de s’exprimer librement sur une plateforme interne intitulée Expression Libre. Ses commentaires, non-conformes, ont choqué certains de ses collègues au point de déclencher une procédure disciplinaire qui s’apparente à un procès pour délit d’opinion[2].

Expression Libre est un fil de discussion où les enseignants échangent petites annonces et commentaires de l’actualité. Ce jour-là, 11 juillet 2023, les messages vont bon train à propos de l’arrestation de Youssouf Traoré en marge d’une manifestation contre les violences policières en mémoire d’Adama Traoré. Les collègues de Nespolo condamnent unanimement la police française qui « passe à tabac », « casse des nez », « étouffe », « brutalise », « La routine, quoi ! »

Massimo Nespolo est alors au Japon ; il enseigne, tous les étés, à Tsukuba, sorte de capitale des sciences nipponne où il passa sa jeunesse de postdoctorant. Depuis l’autre bout du monde, donc, Nespolo consulte la liste Expression Libre. Les réflexes anti-flics de ses collègues l’irritent. Il pique un coup de sang. Un quart d’heure avant d’aller en cours, il poste, sur la plateforme, un brûlot à propos de la gauche qui a « abandonné son ADN » et ne défend plus que :
« – les voyous, multirécidivistes de préférence ;
– les migrants ;
– les lobbies LGBTQIAxyz:-x etc, avec leurs dérives pédophiles (« les lectures pour enfants » des « Drag Queens » et d’autres obscénités) ;
– toute la racaille qui s’en prend aux institutions, en particulier les forces de l’ordre ;
– et j’oublie sans doute bien d’autres aménités.
Que des marginaux puissent suivre une telle déliquescence, rien de surprenant. Mais que des collègues universitaires s’y plient aussi, ça n’a aucune explication ».

Nespolo y va franco. Les collègues « signalent » son message à la direction de l’université ainsi qu’aux autorités judiciaires via la Plateforme d’Harmonisation, d’Analyse, de Recoupement et d’Orientation des Signalements – la bien nommée PHAROS, phare de la pensée surveillée…

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Sur la liste d’échanges Expression Libre, les commentaires redoublent. Nespolo découvre que sa diatribe est qualifiée d’« homo/transphobe ». « Abject », « ligne rouge », « clichés nauséabonds »… les accusations pleuvent, on exige des sanctions. « Ce type de sous-entendu ne pourrait-il pas motiver du disciplinaire et/ou du pénal ? » écrit un collègue, en toute confraternité. Ou encore : « très investie et attachée à travailler sur les luttes contre les discriminations, je ne peux pas lire ces mots sans réagir. Je souhaite que nous soyons protégé.es de tels propos qui ne peuvent pas être diffusés impunément ». C’est en écriture inclusive qu’on demande l’exclusion. « Personnellement, si j’exerçais dans le même champ de recherche que Massimo Nespolo, j’accueillerais ses annonces de résultat avec beaucoup de prudence ». Celui qui questionne la vulgate woke ne peut être tout à fait intègre…

Il faut écarter le collègue toxique. Onze heures plus tard, c’est chose faite : « Chères et chers collègues, vous avez été nombreux à signaler le message adressé par Mr Nespolo à 1h47 ce jour. La présidence a décidé d’interdire à Mr Nespolo l’accès à la liste « expression libre » à effet immédiat », notifie la direction des Affaires Juridiques. Et la présidente de l’université de Lorraine saisit la section disciplinaire qui évoquera, entre autres motifs du blâme bientôt infligé à Nespolo[3], sa malveillance du fait que « figure au sein de son message non pas l’acronyme LGBTQIA+ mais « LGBTQIAxyz:-x etc » ».

Pour sa défense, Nespolo précise qu’il ne porte aucun jugement négatif sur les individus LGBT ; ce sont plutôt les dérives des lobbies LGBT qu’il condamne. Il maintient par ailleurs sa critique des lectures pour enfants organisées par des drag queens, activités qu’il juge obscènes. « Donc, sur le fil Expression Libre, me dit-il encore, on peut insulter les forces de l’ordre mais on ne peut pas dire que les lobbies LGBT défendent l’indéfendable lorsqu’ils cautionnent les ateliers Drag Queens pour enfants. Le deux poids deux mesures me semble plus que flagrant ». Regrette-t-il d’avoir posté ce message somme toute un peu corsé ? « Si j’avais eu le temps (j’entrais en cours un quart d’heure plus tard) j’aurais élaboré un peu plus la phrase ! Mais regretter, bien sûr que non ! Si je n’avais pas réagi, personne ne l’aurait fait. J’ai remis les gauchistes à leur place ».

Un procès politique

Parmi les auditions lors du conseil disciplinaire, figure la déposition d’une co-secrétaire du syndicat CGT FERC SUP (Fédération de l’Éducation, de la Recherche et de la Culture – Enseignement Supérieur) : « Pour nous, lutter contre les idées de l’extrême droite, car on pense qu’on est dans ce cadre-là pour ce dossier, c’est prendre la mesure de son poids, de ses idéologies […] La mention du – à la place du + à la suite de LGBTQIA est un signe d’autant plus choquant ».

Procès politique ? « Ils ont saisi l’occasion », estime Nespolo, dans le collimateur depuis qu’il est secrétaire départemental de Debout La France. Il n’est pas du bon bord politique. Certes il est étranger et le wokisme sanctifie la figure de l’Autre. Mais il y a l’Autre et l’Autre. Un Italien vivant en France et marié à une Japonaise, ça n’est pas la bonne diversité… surtout s’il est de droite.

Nespolo veut faire appel de son blâme. Il ira jusqu’à la Cour Européenne des Droits de l’Homme s’il le faut. « On ne peut être condamné simplement sur le ressenti d’un certain nombre de personnes qui se disent choquées, insiste-t-il. Il n’y a rien de factuel dans ce jugement ». Le plus glaçant dans cette affaire, est peut-être la gravité dans le ton des « signalements ». C’est presque pire que si c’était un faux procès cynique pour mauvaises pensées au service d’un régime autoritaire. On a le sentiment que les délateurs y croient dur comme fer. Les cerveaux semblent reprogrammés à la doxa diversitaire.

Ces procédures picrocholines sont diligentées au sein d’une université, entre gens qu’on croirait plus occupés à résoudre des équations. Nespolo est une tête. Son domaine de recherche ? « L’application de l’algèbre à des structures cristallines », m’a-t-il répondu. Et je l’ai cru sur parole… Son CV est infini, la liste de ses publications et conférences, comme celle de ses participations aux sociétés savantes en impose. Comment comprendre qu’on s’en prenne à un prof en poste dans la même fac depuis 21 ans, qu’on engage des chicanes pendant des mois, en vertu de cette espèce de culture de l’offense qui nous vient d’Amérique ?

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Les conséquences du blâme ? « Ça peut peser sur la progression de carrière. Sachant que je suis déjà prof en classe exceptionnelle, il ne me manque qu’un échelon. Du point de vue du prestige, ça ne change rien. Ça change un peu pour le salaire, mais c’est pas ça qui compte ». Nespolo n’est pas une victime, c’est juste une sorte de dinosaure décidé à ne pas se laisser dicter ses pensées. Les universitaires qui vénèrent la culture du désaccord se font rare.

Seuls trois chercheurs sont intervenus en faveur de Mr Nespolo dans le fil de discussion. Par ailleurs, pour sa défense, Massimo Nespolo a produit les messages de soutien qui lui ont été envoyés personnellement par des collègues scandalisés qu’il soit exclu de la plateforme Expression Libre. Tous contestent les accusations de racisme et autres phobies portées contre lui. Certains le connaissent et témoignent de son innocence. D’autres ne le connaissent pas personnellement mais réprouvent l’esprit de censure qui gagne.

Ces messages lui ont donc été envoyés directement sur sa boîte mail. Ils sont au nombre de seize. Treize parmi leurs signataires ont demandé à ce que leur nom n’apparaisse pas dans le dossier de défense. C’est dire le climat. Un exemple ? « Je suis malheureusement contraint de rester silencieux car je sais ces gens capables de mettre fin à mon début de carrière purement et simplement », écrit l’un des anonymes à Nespolo. On touche du doigt ce « totalitarisme d’atmosphère » évoqué par la sociologue Nathalie Heinich dans son essai Le wokisme serait-il un totalitarisme ? ou par Mathieu Bock-Côté dans Le totalitarisme sans le goulag.

Ça n’est plus un secret : le totem woke EDI (Égalité Diversité Inclusion) est un exemple chimiquement pur de double langage. L’égalité d’opportunités est jetée aux orties au profit d’une utopique égalité de résultat. La diversité s’applique aux couleurs de peau ou orientations sexuelles mais la diversité d’opinion est hors-jeu. Quant à l’inclusion, elle consiste à exclure les hérétiques, sous prétexte de protéger les minorités. Et à l’Université de Lorraine, la cellule EDI porte beau. À la veille de Noël, et « dans un effort significatif pour promouvoir un campus inclusif et sûr », elle annonçait l’installation de trois « Safe Boxes ». « Ces boîtes sont destinées à recueillir des témoignages, anonymes ou non, concernant les violences sexistes, sexuelles et les discriminations. […] cette initiative souligne l’importance du « bien vivre ensemble » sur le campus. Il ne s’agit pas seulement d’éradiquer les violences et les discriminations, mais de cultiver une culture d’entraide, de compréhension mutuelle et d’acceptation des différences », est-il précisé sur le site de l’université. « Expression libre », « compréhension mutuelle », « acceptation des différences »… autant de motifs d’inquiétude… La délation a de l’avenir.

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[1] Sondage réalisé par le journal étudiant Harvard Crimson en 2023.

[2] Nous avons contacté les autorités de l’Université de Lorraine pour recueillir leur point de vue à propos de la procédure engagée à l’encontre de Massimo Nespolo. Voici la réponse de Clotilde Boulanger, vice-présidente politique doctorale : « Suite à votre sollicitation, je me permets de vous donner la position de mon université. L’établissement ne commente pas les affaires en cours, l’affaire que vous citez n’étant pas terminée. Par conséquent nous ne répondrons pas au questionnaire. Bien à vous ».

[3] Jugement rendu le 5 décembre 2023



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