Franz Bartelt, chasseur de citations et expert en déboires ménagers, a réuni ses trésors dans un almanach publié aux éditions de L’Arbre Vengeur. À mettre impérativement sous le sapin !
Nous entrons dans les dernières semaines des achats avant la Noël. Si vous ne deviez offrir qu’un seul livre, loin des primés d’automne et des marchands de la nativité, optez pour un écrivain des environs de Charleville-Mézières, un collecteur de papiers recyclés, un dénicheur de faits-divers qui déraillent, un enlumineur des petits matins brumeux saisis dans le reflet du zinc et d’une départementale patibulaire. Nous sommes au croisement de Topor et de Perros, sous le regard bienveillant d’Alexandre Vialatte, avec des accents Pirottiens dans les graves ; un bazar ambulant, plutôt une foire des mots où la littérature ne se hausserait pas du col, ne se ferait pas plus pimbêche qu’une autre. Mais, elle est bien là, elle transparaît dans chaque chronique, billets doux ou réflexions vaches, notes éparses et embardées de printemps. Ce journal de bord oscille entre un mémoire en « farce et attrape » et la pudeur d’un styliste du quotidien. Il court de septembre 1984 à décembre 1999, d’Huguette Bouchardeau à l’environnement jusqu’à la grande tempête qui dévasta la forêt des Landes. Ce précis de nostalgie s’appelle Almanach des uns, des unes et des autres. Un titre filandreux à la Lelouch dont la quintessence sémantique est résumée ainsi : « Noter ce qu’on entend, ce qu’on pense de ce qu’on a entendu. Noter les anecdotes, au besoin les prolonger par quelques inventions accessoires destinées à les rendre utiles. Noter les rêves, c’est important : le meilleur point de départ d’une journée ».
A lire aussi, du même auteur: Morlino, premier précepteur de France
Réjouissez-vous de passer toute l’année 2024 dans les phrases de Bartelt, d’y puiser chaque jour, votre ration d’étrange, d’amer, de bizarre, de sombre et de banal, et surtout de bancal devrais-je ajouter. Je ne vois pas un autre endroit où le temps bégaie avec autant d’esprit potache et de lucidité poétique. Moi, je l’ai lu d’une traite, non pas par professionnalisme, seulement par gourmandise, j’ai de l’appétit. Je ne résiste pas au fromage de tête et à la prose d’un Bartelt sauvage aussi fascinant et précieux qu’une huppe fasciée aperçue dans mon jardin des bords de Loire au sortir de l’été dernier. Il y a, à la fois, une majesté et une incongruité, dans sa manière de raconter l’éphéméride, d’égrener le calendrier à la Prévert, de se décoller d’une triste réalité pour grimper si haut. Quel drôle d’oiseau que ce Bartelt qui recense des noms d’écrivains, qui empile des morceaux de vie et emprunte les voies vicinales sans lesquelles l’existence serait morne comme le plateau d’invités d’une chaîne d’info continue. Son almanach est essentiel à celui qui veut fuir les actualités calibrées et les sermons des 20 h 00. Y cohabitent André Dhôtel, Hervé Vilard, Orlando, Sulitzer, Marchais, Rimbaud, les coiffeurs ou Platini ! Bartelt se définit à la date du 21 janvier 1998 comme un « étudiant en programmes télé », « j’aime (les) explorer d’avance, pour saliver, pour en espérer des jouissances considérables » nous avertit-il. De toute façon, un écrivain qui débute sa notule du 4 janvier 1990 par cet aphorisme : « Les Anglais ne mangent pas de cheval. S’ils n’ont qu’une qualité, c’est celle-là », a toute mon estime intellectuelle. Plus loin, il nous apprend qu’« un baiser diminue de trois minutes, en moyenne, la durée d’une vie », ce qui lui permet d’opérer un calcul savant sur l’échange des langues et les affres de la longévité. Pierre Dac n’est pas loin. Dans un précédent article consacré à cet Ardennais volant, j’avais utilisé l’expression « de guingois ». Elle me revient en pleine face. Bartelt pratique une forme d’humour à la jonction des Branquignols et de Kafka. Il met dans le même panier son copain Claude philosophe autrement plus capé que BHL, Bernadette Soubirous, la mort de François Mitterrand et les Jeux Olympiques de Nagano. Le 8 juin 1991, deux jours après la disparition d’Antoine Blondin, Bartelt n’a pu retenir ses larmes, « jusqu’au bout, il aura préféré les somptuosités noires du naufrage aux mesquineries du ratage » écrit-il, avec un toucher de plume tendre et révolté. Je vous laisse sur cette méditation du 18 juillet 1998 : « À les entendre, la plupart des écrivains ne sont pas lisibles. Si les écrivains ne savent pas lire les livres de leurs confrères, qui les lira ? »
Almanach des uns, des unes et des autres de Franz Bartelt – L’Arbre Vengeur
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !