Les meilleurs journalistes ne sont pas forcément ceux qui sont désignés comme tels dans les distributions des prix, comme le « prestigieux » Albert-Londres. Quand ce ne sont pas de purs et simples bidonneurs qui sont primés, les frimeurs de la plume ou de la caméra ont infiniment plus de chances de décrocher la timbale que les scrupuleux qui hésitent à tordre une info pour faire un bon mot…
[access capability= »lire_inedits »]Jean-Luc Allouche est maintenant passé dans le cadre de réserve après quelques dizaines d’années passées sur le front de l’info, au mensuel juif L’Arche d’abord, puis à Libération, dont il fut le correspondant en Israël de 2002 à 2005, au plus fort de la deuxième Intifada. Jean-Luc Allouche n’a reçu aucun prix de journalisme, n’est pas allé faire le beau sur les plateaux de télé et ne passait pas sa vie à chasser le « scoop » qui aurait pu lui ouvrir le cœur, et plus si affinités, des stagiaires du CFJ embedded à la rédaction de Libé.
N’empêche, Allouche est un grand de la profession pour lequel j’éprouve une très vive et très sincère admiration, et cela en dépit du fait qu’il compte au nombre de mes amis.
A ceux qui n’ont pas eu la chance de le lire dans Libé, une session de rattrapage est offerte sous la forme d’un recueil de ses principaux reportages israéliens (et palestiniens) récemment parus sous le titre Les Jours redoutables, chez Denoël.
L’exercice est périlleux : ce qui est écrit dans l’urgence, sous la pression de l’événement, a de fortes chances de mal vieillir, ou pire de montrer rétrospectivement à quel point le journaliste s’était fourré le doigt dans l’œil, par aveuglement idéologique ou manque crasse de culture.
Ce n’est pas le cas des chroniques d’Allouche qui se bonifient en vieillissant, comme ces vins dont il est un amateur éclairé. C’est d’ailleurs lui qui popularisa en France les nouveaux vignerons israéliens, dont la production compte aujourd’hui parmi les grand crus mondiaux…
Sa nomination comme correspondant en Israël n’avait pas fait que des heureux à Libération, où les « gauchistes » historiques de ce quotidien ne cachaient pas leur désapprobation de voir un supposé sioniste remplacer une journaliste dont le pro-palestinisme hystérique avait fini par porter un coup à la crédibilité du quotidien de Serge July. Mais ce dernier a tenu bon, et il a eu raison. Pendant trois ans, Libération est devenu le journal de référence dans le traitement du conflit israélo-palestinien. La recette est si simple qu’on se demande pourquoi elle n’est pas plus souvent utilisée : il suffit d’être honnête, de raconter ce que l’on voit, ce que l’on entend, et d’être à l’écoute des bruits de la rue israélienne et palestinienne. Cela demande, mine de rien, un certain courage : il est plus confortable, pour un correspondant à l’étranger, d’écrire ce que les « gens de Paris » ont envie de lire, même si cela va à l’encontre des réalités constatées sur le terrain. Dans ce domaine, la couverture du conflit israélo-arabe peut devenir une galère, car nombreux sont les ignorants qui se targuent d’avoir une opinion sur la question et qui ne supportent pas que les faits viennent mettre le souk dans leurs préjugés.
Ce qui fait de Jean-Luc Allouche plus qu’un bon journaliste, un journaliste heureux, c’est son peu de goût pour l’idéologie. Chez lui, pas de leçons de morale distribuées à la louche à ce cochon de lecteur prié de prendre cela pour des perles dont il serait à peine digne.
Allouche est juif, il est pied-noir, de Constantine, élevé dans un milieu religieux dont il s’est émancipé sans le renier. Il parle hébreu et comprend un peu l’arabe. Pour un correspondant en Israël d’un grand média français, ce n’est pas une carte de visite, c’est un casier judiciaire. Certains diplomates de la « rue arabe » du Quai d’Orsay, retranchés dans le consulat général de France à Jérusalem, et certains collègues ne manqueront pas de le lui faire sentir.
La réponse d’Allouche est dans ses textes : qu’il soit dans une colonie juive de Cisjordanie, chez les barbus de Gaza ou les bobos de Tel-Aviv, il est un guide, et non un juge.
Il se fait prophète dans le sous-titre de son livre : Israël-Palestine, la paix dans mille ans. Si c’est vrai, personne ne sera plus là pour dire : Allouche l’avait bien dit !
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