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Allons enfants de la cantine!

La dernière publicité de "Le Slip français" et Duralex est des plus étonnantes


Allons enfants de la cantine!
© ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

En jouant sur la corde sensible de la nostalgie et du patriotisme, la dernière publicité du Slip Français et de Duralex semble avoir tout bon. Mais le consommateur doit-il se résoudre à acheter un produit Made In France comme il donne à une ONG ?


« Allons enfants de la cantine ! » : ainsi s’intitule la campagne marketing[1] lancée en pleine rentrée scolaire par l’entreprise de verrerie Duralex et le fabriquant de sous-vêtements Le Slip Français pour le lancement de leur pack 100 % Made in France constitué de six verres et de boxers masculins.

Question patriotisme, tout y est : la concorde tricolore, la référence à la Marseillaise, sans oublier ce très étrange appel à participer à une « Commande nationale de soutien ». Le mot « Révolution » apparaît même sur la bannière. Pour un peu, je me serais attendue à un « Citoyen, Citoyenne ! » qui, heureusement, ne retentit pas à l’ouverture du site marchand de la marque. Ouf.

Industrie française à l’agonie

De prime abord, cette alliance improbable et décalée entre une entreprise de verrerie et un fabricant de sous-vêtements pourrait prêter à sourire. L’humour fait vendre et il n’y a pas de mal à cela. Notons d’ailleurs combien les marques françaises en raffolent et surenchérissent dans ce domaine jusqu’à parfois frôler le ridicule pour attirer l’attention d’éventuels consommateurs.

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De toute évidence, ces deux entreprises souhaitaient toucher une corde sensible et jouer la carte de la nostalgie en rappelant aux Français leurs souvenirs de cantines scolaires, quand chacun s’amusait à demander son âge à son voisin avant de soulever son verre et de s’esclaffer à la lecture du numéro de série qui y figurait. Mission accomplie : cette campagne publicitaire m’a bel et bien rendue nostalgique non de mes années d’école primaire, mais hélas d’une époque où l’industrie française n’était pas à l’agonie au point de renoncer à être compétitive et réduite à tout miser sur de la communication tapageuse.

La compétitivité pourrait se résumer ainsi : vendre le bon produit, au bon prix et dans le bon endroit. Que ce soit à cause des normes, de la concurrence internationale ou du coût du travail, les entreprises françaises peinent à rester compétitives, sur le marché national comme à l’international. Lorsque l’on appelle au soutien et non à l’achat, lorsque l’on fait passer celui-ci pour un acte militant, c’est que l’on a abandonné l’idée d’être compétitif. Le consommateur ne devrait pas acheter un produit Made In France comme il donnerait à une ONG.

Le chant du cygne ?

J’aurais, en effet, jugé cette alliance différemment si elle émanait d’entreprises en parfaite santé financière, fleurons de l’industrie française. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Le Slip Français, depuis sa création en 2011, a souvent été brandi par le gouvernement comme exemple et symbole de la réindustrialisation textile de la France, mais l’entreprise peine à être rentable et perd chaque année environ 10 % de son chiffre d’affaires depuis 2021. La décision de son PDG Guillaume Gibault, en avril 2024, de lancer un produit à prix cassé, compensé par de grandes quantités de production, avait d’ailleurs été qualifiée par le journal Les Échos de « combat au bord du précipice[2] ».  Si cette marque est représentative de la tourmente du Made In France, elle est loin d’être un cas isolé. En 2015, l’industrie textile française comptait 103 000 salariés. En 2021, ils n’étaient déjà plus que 62 000[3].

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Quant à l’entreprise Duralex, même si la sénatrice parisienne Antoinette Guhl se réjouissait sur X de sa transformation en coopérative de production (SCOP), lui souhaitant de « réussir là où le capitalisme a échoué », sa situation réelle est bien loin du storytelling relayé sur les réseaux et dans la presse grand public. Après des années de difficultés, un prêt à l’État de 15 millions d’euros fin 2022 et son placement en redressement judiciaire début 2024, l’entreprise vient de tourner une nouvelle page de son histoire. Le tribunal de commerce d’Orléans a décidé fin juillet de retenir la proposition de SCOP pour maintenir les 228 emplois et sauver l’entreprise de la liquidation judiciaire[4]. Ce n’est pas la première fois qu’un tel scénario se produit. En 2011, les couturières de l’entreprise de lingerie Lejaby s’étaient organisées en SCOP pour racheter leur entreprise en liquidation judiciaire. Déjà à l’époque, le grand public s’était ému de leur initiative mais l’entreprise rebaptisée Les Atelières fut placée en liquidation judiciaire moins de deux ans après.

Non, je n’arrive décidément pas à voir dans cette Marseillaise revisitée autre chose qu’un chant du cygne de l’industrie française. Certains diront que je vois le verre à moitié vide. Ce qui est certain, c’est que je ne prends plus la peine de le retourner : je sais que je n’ai plus l’âge d’y croire.


[1]  Clip promotionnel Le Slip Français – https://www.youtube.com/watch?v=xuelBxgZ944

[2]   https://start.lesechos.fr/societe/economie/un-combat-au-bord-du-precipice-le-slip-francais-oblige-de-casser-ses-prix-pour-se-relancer-2089661

[3]  Chiffres de l’Union des Industries Textiles – [rapport

[4]     https://www.larep.fr/orleans-45000/actualites/le-tribunal-de-commerce-a-tranche-pour-la-reprise-de-la-verrerie-duralex-pres-d-orleans_14541719/



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