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Allocations pour les étrangers: cet amendement voté passé inaperçu

Le regard libre d'Elisabeth Lévy


Allocations pour les étrangers: cet amendement voté passé inaperçu
Bruno Retailleau (LR) au Sénat lors des débats sur la loi immigration, Paris, 6 novembre 2023 © Jacques Witt/SIPA

Les temps changent et le diable a changé de camp. Mardi soir, lors de l’examen du projet de loi immigration, le Sénat a fait passer un amendement visant à conditionner les allocations familiales à cinq ans de résidence sur le territoire – contre six mois actuellement. La sénatrice socialiste, Laurence Rossignol, a accusé la majorité sénatoriale d’organiser « la pauvreté des enfants ».


Les allocations pour les étrangers : voilà un sujet qui divise depuis fort longtemps.

Mardi soir, au Sénat, entre la poire de l’AME et le fromage de l’article 3 – dont tout le monde a abondamment parlé – un amendement des LR est finalement passé assez inaperçu. Pendant que les chefs de LR négociaient la suppression du nouveau titre de séjour pour les métiers en tension, la sénatrice du Val-d’Oise Jacqueline Eustache-Brinio défendait de son côté un amendement très restrictif.

Il concerne les prestations non contributives, c’est-à-dire les allocations ne correspondant pas à une cotisation : allocations familiales, APL etc.

Pour les percevoir, un étranger en situation régulière devra justifier de cinq ans de résidence – ce qu’on appelle un « délai de franchise » pour bénéficier de la solidarité nationale…

Darmanin d’accord

En mission-séduction des LR pour éviter le 49-3 sur sa loi, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin délivre alors un « avis de sagesse », ce qui signifie qu’il ne s’y oppose pas – sauf pour l’allocation handicapé. Bel exercice de « en même temps » pour le ministre. Au Sénat, j’embrasse ma droite, à l’Assemblée nationale, je courtise ma gauche…

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L’amendement est finalement adopté. Et sur X, on observe beaucoup de commentaires approbateurs des citoyens, même si les internautes savent bien que la mesure ne passera pas le barrage de la gauche macroniste à l’Assemblée. Les sénateurs LR et le ministre le savent aussi, il y a donc dans cette affaire beaucoup de Comedia dell Arte.

Sur le fond, est-ce une bonne mesure ?

Si maîtriser nos frontières semble de plus en plus chimérique dans le cadre des traités européens, rendre la France moins attractive reste la seule solution pour endiguer concrètement les flux. La France peut jouer sur les pompes aspirantes, ces dispositifs qui poussent des gens à venir dans notre pays.

D’ailleurs, la preuve que c’est une bonne mesure, c’est que le braillomètre des immigrationnistes s’emballe ! On organise la pauvreté des enfants, on s’en prend à des malheureuses familles, a-t-on entendu. Autrement dit, pour tout ce petit monde, il serait bien légitime de faire venir en France des familles dont la survie dépend de l’argent public ! Sauf que la majorité des électeurs, même à gauche, ne veut désormais plus accueillir des gens qui ne travaillent pas ou peu, et qui, de plus, parfois, détestent la France.

Si cet amendement ne sera pas retenu dans la future loi, cet épisode est révélateur : les temps changent. Il y a 30 ans, quand le Front national proposait ce genre de mesures, rappelez-vous le haut-le-cœur général. À l’époque, Laurent Fabius avançait que le FN posait de bonnes questions auxquelles il apportait de mauvaises réponses. Et dans la foulée, la gauche morale avait interdit toute question sur l’immigration. En 2007 encore, l’affaire des tests ADN pour contrôler l’identité des migrants enflammait Saint-Germain-des-Prés, et Sarkozy reculait. Aujourd’hui, il y a un grand changement et un consensus sur l’objectif : tout le monde souhaite une réduction drastique de l’immigration et la maîtrise des flux. Même Guillaume Meurice n’oserait plus parler de « chances-pour-la-France », enfin, peut-être.

Bien sûr, une grande partie de la classe politique continue à se signer sur l’extrême droite. Y compris Madame Borne. N’empêche. L’amendement qui aurait autrefois été qualifié de scélérat n’a pas fait la une des médias. Et malgré le concours de mines outragées sur le thème « défiler avec Le Pen jamais », Marine Le Pen marchera vraisemblablement dimanche contre l’antisémitisme. Les électeurs ont tranché. Comme le dit mon camarade de Causeur Jean-Baptiste Roques: le RN fait partie du camp républicain. Le diable a changé de camp. Désormais, il s’habille en rouge.

Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio.

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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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