Ils sont aujourd’hui presque nonagénaires, ceux qui ont assisté aux derniers procès staliniens, au début des années cinquante. Mais s’ils allument leur télévision pour regarder les nouvelles, ils doivent tout à coup se sentir rajeunir grâce aux images des procès en cours à Téhéran. Aveux complets des accusés assortis d’excuses envers « le peuple iranien » et d’un appel à la clémence des juges, absence d’avocats : tous les ingrédients des procès de Moscou sont cuisinés à l’Iranienne. Ne manque (pour l’instant ?) que le prononcé de sentences de mort à l’encontre des traîtres à la patrie et des espions démasqués.
L’attitude d’une très jeune femme, Clotilde Reiss, force l’admiration : on peut la voir sous un tchador, jetée en pâture à une brochette de barbus dans une salle bourrée de miliciens. Elle répond en farsi avec un aplomb remarquable à cette bande de hyènes fanatiques. Sa voix ne tremble pas et ses yeux démentent la teneur de ses propos, des aveux extorqués dans un contexte où elle peut craindre le pire.
On a bien senti, dans les sphères gouvernementales, que l’affaire Clotilde Reiss ne pouvait pas être traitée dans le secret des chancelleries, comme c’est le cas, en ce moment, pour les trois agents de renseignements français retenus contre leur gré par des milices islamistes en Somalie. Clotilde Reiss, pourrait être la fille de très nombreuses familles françaises de toutes classes sociales, une de ces filles bonnes à l’école qui font de solides études universitaires avant d’aller découvrir le vaste monde grâce à l’action culturelle extérieure de la République.
C’est pourquoi le ton est monté d’un cran dans la gesticulation verbale du gouvernement contre la clique Ahmadinejad. Bernard Kouchner explose dans Le Parisien et l’Elysée fait savoir que Nicolas Sarkozy, de sa villégiature du Cap Nègre fait tout ce qu’il peut pour obtenir la libération de notre compatriote.
A la place du clan Ahmadinejad, je ne me ferais pas trop de souci au sujet de ces coups de gueule à usage interne. Aucun des signaux annonciateurs d’une vraie réaction n’a pour l’instant été lancé. On a, certes, fait donner la présidence suédoise, qui affirme que les procès intentés à des citoyens de l’Union européenne ou a des employés iraniens des ambassades des pays de l’UE sont un défi lancé à l’ensemble de l’Union. Mais on n’a pas convoqué de réunion d’urgence pour définir une riposte commune à ces provocations de Téhéran. La « retenue » des Etats-Unis d’Obama lors des affrontements consécutifs à l’élection présidentielle, saluée comme une sublime habileté tactique par de nombreux commentateurs n’a pour l’instant comme effet que d’inciter le clan Khameneï-Ahmadinejad à pousser chaque jour le bouchon un peu plus loin.
On fait aujourd’hui donner quelques chefs de bande des Gardiens de la révolution pour demander la mise en accusation des principaux chefs de l’opposition, pour tester la réaction de l’Occident à une éventuelle épuration sanglante.
Ainsi, Clotilde Reiss pourrait faire l’objet d’un marché dont les termes seraient : « Laissez-nous régler tranquillement nos comptes entre frères ennemis du post-khomenisme et on vous met cette écervelée dans l’avion de Paris… »
Nous, amis lointains de Clotilde, sommes encore une fois coincés dans l’infernal dilemme: si nous demandons haut et fort la libération immédiate de la jeune femme, si nous en faisons une nouvelle Ingrid Bétancourt, sa valeur d’échange s’en trouve alors accrue d’autant, et les exigences des enturbannés monteront en flèche.
Dans l’idéal, une attitude concertée de fermeté, assortie de sanctions immédiates, décidée par tous les pays qui ont des moyens politiques ou militaires pour amener le pouvoir iranien à cesser ses provocations serait la meilleure riposte.
Pour l’instant, on ne voit pas le début du commencement de l’amorce d’un raidissement collectif dans ce dossier, sans lequel un coup de téléphone comminatoire de Sarkozy à Ahmadinejad serait comparable à celui d’une miction sur un Stradivarius.
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