À l’Est, y’a du nouveau ! L’analyse géopolitique de Gil Mihaely
Ce matin, le chancelier allemand Olaf Scholz et les membres de son gouvernement ont présenté la stratégie de sécurité nationale de l’Allemagne, un document attendu depuis longtemps. S’il faut en citer un seul extrait, ce serait sans doute celui-ci : « Nous avons payé chaque mètre cube de gaz russe au double et au triple en termes de croissance nationale ». Cette phrase de l’introduction signée par la ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, contient à elle seule tout l’esprit de ce document.
Bien que l’Allemagne ait eu par le passé des documents d’orientation sur la sécurité, elle n’a jamais publié un document de stratégie globale. Et c’est peut-être pour cette raison que le document a été rédigé et publié sous l’égide du ministère des Affaires étrangères, ce qui lui confère un air diplomatique plutôt que martial.
Devant la presse, le chancelier Scholz a souligné que depuis que son gouvernement avait accepté d’élaborer une stratégie, l’architecture de la sécurité de l’Europe avait radicalement changé. Il a cité l’invasion de l’Ukraine, la guerre en cours et la destruction d’infrastructures essentielles telles que les gazoducs Nord Stream comme autant d’éléments qui donnent un nouvel élan à l’élaboration et la mise en œuvre du plan.
Une stratégie en quatre points
Scholz a également souligné que, si les anciens documents de politique générale étaient axés sur la défense, la nouvelle stratégie s’appuierait plutôt sur la politique étrangère. Le chancelier a souligné l’importance pour l’Allemagne d’être approvisionnée en matières premières de manière sûre et permanente. Annalena Baerbock a reconnu qu’il fallait mettre davantage l’accent sur la sécurité depuis l’invasion.
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Selon le document, la stratégie allemande est fondée sur quatre points : la Russie est la menace principale, l’OTAN est l’alpha et l’omega de la défense européenne et donc allemande, la Chine n’est pas une menace pour le moment, et enfin, des Etats membres de l’UE devraient avancer en groupe sur des sujets particuliers sans passer par l’unanimité des 27.
La classe politique allemande tire donc publiquement les leçons de l’échec avoué de la politique russe des deux précédents chanceliers avec deux conséquences : diminuer les dépendances extérieures (en dehors de l’Europe et de l’OTAN) dans les domaines critiques (dont l’énergie mais pas uniquement) et une meilleure intégration à l’OTAN (plus de capacités, meilleure coordination à tous les niveaux). La mise en avant de l’article 44 de la Constitution européenne, permettant à un groupe d’États membres qui le souhaiterait et disposerait des capacités nécessaires pour mettre en œuvre une « mission de l’Union européenne », indique également une volonté allemande de plus de souplesse dans le fonctionnement des institutions pour répondre plus rapidement aux défis sécuritaires et économiques.
La question chinoise habilement traitée
Enfin, le cas de la Chine, habilement traité, continue à poser des questions à plus long terme.
Il est tout à fait judicieux, surtout quand on désigne clairement un adversaire – la Russie – et qu’on s’engage clairement derrière l’Ukraine, d’éviter un deuxième front et donc de ne pas exacerber les relations avec la Chine. Mais en même temps, si on construit – et c’est parfaitement compréhensible et logique – sa défense nationale sur l’OTAN et donc sur les États-Unis, il faut s’attendre à ce que ces derniers essaient tôt ou tard de vous arrimer à leur stratégie chinoise. Cependant, ce genre d’ambiguïtés est souvent nécessaire et il vaut mieux reléguer certains sujets qui fâchent à plus tard et se concentrer sur les crises proches dans le temps et l’espace.
Pour conclure, la publication de ce document, premier dans son genre, est un signe fort du retour officiel de l’Allemagne dans le Grand Jeu européen et mondial, non pas comme bailleur de fonds et fabricant de machines mais comme une force avec une dimension militaire importante. Et c’est un fait qui mérite d’être souligné.
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