En obtenant, dimanche 21 janvier, 56% des voix des délégués au congrès extraordinaire du SPD en faveur de la poursuite des négociations pour former un gouvernement avec la CDU/CSU d’Angela Merkel, le leader social-démocrate Martin Schulz a évité le pire. Une défaite aurait signifié pour lui l’éviction immédiate de son poste et le choix d’un nouveau chef pour de nouvelles élections au printemps prochain.
La «coalition des perdants»
Cependant, cette « victoire » n’est réjouissante ni pour l’ancien président du Parlement européen, ni pour Angela Merkel qui se retrouve avec un partenaire affaibli et sommé par sa base d’obtenir, dans la suite des négociations, un infléchissement vers la gauche du pré-accord de gouvernement conclu, fin décembre entre la CDU/CSU et le SPD. Déjà fustigée dans une partie de la presse et de l’opinion comme la « coalition des perdants » des élections législatives de septembre, cette nouvelle version de la grande coalition est maintenant soumise à l’approbation par référendum des 440 000 adhérents du SPD du contrat de gouvernement qui doit maintenant être finalisé. Et l’affaire est loin d’être dans le sac. Les quelque 600 délégués au congrès de Bonn sont pour la plupart des apparatchiks politiques ou syndicaux dont l’avenir personnel dépend de la bonne tenue du parti lors des élections nationales, et surtout régionales ou municipales, qui garantissent des places dans les exécutifs locaux.
La base du SPD penche à gauche
On remarquera, d’ailleurs, que les gros bataillons des opposants au retour au pouvoir avec Merkel proviennent de Länder où le SPD gouverne avec Die Linke et/ou les Verts, comme Berlin, la Thuringe ou Hambourg, ainsi que des Jusos, les jeunes socialistes qui on trouvé un leader charismatique avec Kevin Kühnert, 28 ans. La base du parti, déjà ébranlée par le revirement de Martin Schulz, qui avait exclu avant les élections de gouverner à nouveau comme junior partner de la CDU, risque d’être sensible aux arguments de la gauche du SPD, si Schulz ne parvient pas à donner au programme gouvernemental une coloration plus sociale. Cela concerne la défense du CDI comme règle général du contrat de travail, la fusion de l’assurance maladie, aujourd’hui « à deux vitesses », avec un secteur public et un secteur privé, et la politique d’immigration, jugée trop restrictive par la gauche du SPD. Ce qui a permis à Schulz d’obtenir sa courte majorité, c’est la perspective de nouvelles élections, où les augures créditent son parti d’un score encore plus lamentable que celui de septembre…
Merkel cernée
Ces exigences mettent Angela Merkel dans la seringue : à sa droite la CSU bavaroise qui a d’ores et déjà annoncé qu’il n’était pas question de renégocier les principes établis dans le pré-accord de décembre, et qu’il convenait seulement désormais de le mettre en musique gouvernementale; à sa gauche un Martin Schulz qui va tirer argument de sa faiblesse. « Si vous ne me donnez pas du sucre pour calmer mes troupes, je ne réponds de rien ! », va-t-il plaider auprès de la chancelière. Une Angela Merkel en fin de parcours, qui commence à être défiée en interne par quelques jeunes ambitieux – comme Jens Spahn, partisan d’un coup de barre à droite du parti pour récupérer les voix parties vers l’AfD – pourra-t-elle imposer le compromis capable d’assurer son maintien au pouvoir ? Ses admirateurs inconditionnels, en Allemagne comme en France en sont persuadés. Mais cela relève de la prophétie autoréalisatrise, qui méconnaît gravement les ressorts de la politique telle qu’elle se pratique au-delà du Rhin.
Macron séduit peu la base sociale-démocrate
On aura remarqué que la question de la relance européenne, enfourchée allègrement par un Martin Schulz croyant utiliser à son profit la popularité en Allemagne d’Emmanuel Macron a fait un flop devant les congressistes de Bonn. Ce sont des « Oh ! Oh ! Ah ! Ah ! » ironiques qui se sont élevés dans les travées des délégués lorsqu’il s’est vanté d’être en liaison téléphonique régulière avec le président français pour le tenir au courant de l’évolution de la situation politique. Du côté de la CDU, on fait savoir à Macron qu’il serait malvenu de faire encore le malin sur les estrades en proposant des idées comme un gouvernement de la zone euro ou la mutualisation de la garantie des emprunts nationaux par l’UE, des idées qui hérissent le poil à la droite de l’échiquier politique.
Les sujets qui ne fâchent pas
C’est pourquoi la célébration du 55ème anniversaire du traité de l’Elysée, qui devait être, dans l’esprit du président français, le départ grandiose d’une relance de l’Europe dans l’harmonie franco-allemande s’est limitée à l’évocation des sujets qui ne fâchent pas, comme le rappel des grands principes et l’exhortation à la jeunesse de mieux connaître l’autre. Emmanuel Macron devra encore attendre sur le banc de touche qu’une Merkel confortée et sereine l’appelle sur le terrain. Ce qui est loin d’être acquis. Le nouveau gouvernement Merkel IV devrait voir le jour à Pâques, ou à la Trinité, ou pas…
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