La «crise grecque» constitue un formidable révélateur. Les événements de ces derniers jours ont en effet permis à chacun de jeter le masque, et de montrer qui il était et où il se situait. Cruelle leçon de choses, qui a vu les petits marquis se comporter en petits marquis, les supplétifs ahuris monter quatre à quatre les marches du ridicule, les imposteurs inquiets surenchérir dans la haine et le mépris. Mentions spéciales à ceux qui tiennent chez nous les manettes, laissant apparaître leur peur et l’envie de soumission, seul moyen pour eux de la conjurer. Aux gauchistes (de salon ou pas) qui une fois de plus ont fait mentir Lénine en démontrant qu’il n’y avait pas de maladie infantile, mais uniquement de l’exaltation petite-bourgeoise. Produisant un fanatisme généreux avec le sang des autres, mais qui s’évanouit au premier retour du réel. Aux défaitistes aussi, en général, sincères et lucides, mais vite découragés. J’ai dit ici l’effet qu’avait produit sur moi ce moment. L’émotion du référendum grec comme une espèce de «Bir Hakeim», première étape sur un chemin qui sera long et difficile. Et qui a réactivé cette petite maladie que je pensais guérie. Celle qui pousse à choisir le camp du peuple. Mais voilà qu’une autre vient aussi de se réveiller. J’entends déjà les quolibets sur son caractère génétique…. Peut-être, mais ce qui est sûr c’est que ce qui s’est passé en Europe ces derniers jours vient de démontrer que nous avions désormais un nouveau « problème allemand ».
Je sais que les accusations de « germanophobie» et autres «point Godwin» vont bien évidemment pleuvoir de la part de ceux qui se réjouissent d’une Europe à direction allemande et de ceux pour qui la soumission est une seconde nature.
Mais il est désormais exclu de céder à ce chantage. Parce qu’il faut maintenant cesser de se payer de mots et regarder les choses en face. Les pays et les peuples ont des cultures et une histoire. Ce qui permet sans caricature, d’en cerner certaines caractéristiques. L’Allemagne est un grand pays et un grand peuple. Mais qui a montré dans l’histoire une surprenante facilité à passer d’un haut niveau de civilisation à la plus totale irrationalité la conduisant au pire. On ne reviendra pas en détail sur ce qui s’est passé depuis 1870, mais on rappellera quelques épisodes éclairants. Le lieu de la proclamation de l’empire en 1871 dans la Galerie des glaces à Versailles n’avait aucune autre utilité que la force symbolique d’une humiliation totale pour la France. Le premier vrai et grand génocide systématique du vingtième siècle qui fut celui des Hereros en Namibie. Les exactions contre les civils après la violation de la neutralité belge en août 1914 qui, lorsqu’elles furent rapportées en France et en Grande-Bretagne furent considérées, du fait de leur violence, comme des exagérations de la propagande ! Ne parlons pas de la Seconde guerre mondiale. En fait si, juste pour rappeler que la mise en coupe réglée de la Grèce après son invasion en 1941 provoqua la mort de 100 000 civils par la famine lors du premier hiver d’occupation, 300 000 pour toute la guerre.
Le syndrome de l’encerclement au centre de l’Europe, joint au sentiment que l’Allemagne, si évidemment supérieure, n’avait pas ce qu’elle méritait, ont nourri agressivité guerrière et absence de principes. Les peuples européens l’ont appris à leurs dépens. Après la Seconde guerre mondiale, l’Allemagne a échappé en partie aux conséquences de l’effroyable catastrophe qu’elle avait déclenchée. Pas de plan Morgenthau, pas de dénazification approfondie, invention de mythes permettant de faire la différence entre le peuple allemand et les nazis. La Wehrmacht correcte au contraire des SS, alors qu’elle les avait sans problème égalés dans le crime. Les recherches historiques récentes ont permis d’établir que le peuple allemand, alors qu’il savait tout, avait suivi Adolf Hitler aveuglément, et jusqu’au dernier jour. Ce qui n’a pas empêché de le présenter aussi comme victime de celui-ci. Mais pourquoi pas ? C’était la guerre froide, et l’on constate que la dichotomie nazi/peuple allemand employée par les vainqueurs, fut la même des deux côtés du rideau de fer. Et puis pour éviter le retour de la guerre, il fallait faire l’Europe et y intégrer l’Allemagne. Ce qui fut fait, mais en commettant deux erreurs. De diagnostic tout d’abord, en considérant que le facteur des guerres en Europe était l’existence des nations, qu’il fallait donc faire disparaître. De méthode ensuite en privilégiant une construction purement économique faisant l’impasse sur le politique.
Charles de Gaulle, François Mitterrand et Margaret Thatcher n’étaient pas germanophobes. Mais ils étaient méfiants. Appartenant pour les deux premiers à la « génération des catastrophes » ils avaient quelques raisons de l’être. Alors, lorsqu’Helmut Kohl voulu la réunification immédiate après la chute du mur de Berlin, François Mitterrand qui y était opposé, imagina une méthode pour « arrimer » l’Allemagne à l’Europe. Ce serait la monnaie unique. Terrible ruse de l’histoire, cette crainte de l’Allemagne amena des européens pusillanimes à accepter que l’euro fut un mark élargi. Outil de la construction d’une puissance économique, mais aussi d’une puissance politique, qui lui a permis, « taillant ses partenaires à vif » la création d’une Union Européenne à vingt-huit complètement dominée par l’Allemagne. On n’entrera pas dans les détails de la satellisation des pays de l’Est. Ancien « espace vital » désormais fournisseurs de main-d’œuvre à bas prix. De la brutalité que subissent les pays du sud qui permet, entre autres conséquences dramatiques, de drainer vers l’Allemagne une jeunesse déjà formée aux frais de leurs pays d’origine.
Mais le pire, comme vient de le démontrer la violence de l’épisode grec, c’est le retour de l’hubris. De l’ivresse de la puissance, de l’irrationalité. Le projet européen, auquel nos élites tiennent comme à la prunelle de leurs yeux aveugles, vient de prendre un coup terrible. Et une mécanique, dont personne ne sait ce qu’elle pourra donner vient de s’enclencher. Redevenus somnambules, nos dirigeants redécouvrent l’esprit Munichois. Ils tentent de colmater et d’apaiser. «Wolfgang Schaüble is a gentleman, isn’t it ? » comme aurait dit Chamberlain[1. Il n’est pas question de comparer Wolfgang Schaüble à Hitler, mais de rappeler qu’avec l’Allemagne, la politique d’apaisement ça ne marche pas.].
Et la France, dont un des rôles est justement de contenir les dévoiements de la puissance allemande, se résigne à la soumission. Et comme l’Angleterre, qui a partagé ce fardeau deux fois avec nous, a fait ce dont Churchill avait menacé de Gaulle: « entre le continent et le grand large, nous choisirons toujours le grand large ». Nous y sommes, ils sont partis.
Depuis Théophraste (encore un Grec!) en passant par La Bruyère, nous savons qu’il existe des « caractères » dans la comédie humaine. Les savants parlent parfois d’invariants anthropologiques. Contrairement à ce que semble toujours croire certains Allemands et leurs amis[2. «La représentation selon laquelle les Grecs modernes sont les descendants de Périclès ou Socrate et pas un mélange de Slaves, de Byzantins et d’Albanais, a été pour l’Europe érigée en credo. C’est pour cela qu’on a accepté les Grecs fauchés dans le bateau européen en 1980. On peut en admirer chaque jour les conséquences.» Phrase publiée dans Die Welt, quotidien allemand fort sérieux. Savoureux.], ils ont une base culturelle et non génétique. Nous venons d’en avoir une jolie démonstration avec l’attitude de la société française vis-à-vis de ce qui vient de se passer.
Revenons aux heures sombres, on y trouve parfois des perles utiles. Charles de Gaulle, démontrant une fois de plus quel écrivain il était, avait prononcé un discours au Caire le 18 juin 1941. En quatre phrases, il y écrivait l’histoire de la capitulation de 1940, de l’étrange défaite, qui fut moins une catastrophe militaire qu’un effondrement des élites.
« Le 17 juin 1940 disparaissait à Bordeaux le dernier gouvernement régulier de la France. L’équipe mixte du défaitisme et de la trahison s’emparait du pouvoir dans un pronunciamiento de panique. Une clique de politiciens tarés, d’affairistes sans honneur, de fonctionnaires arrivistes et de mauvais généraux se ruaient à l’usurpation en même temps qu’à la servitude. Un vieillard de quatre-vingt-quatre ans, triste enveloppe d’une gloire passée, était hissé sur le pavois de la défaite pour endosser la capitulation et tromper le peuple stupéfait. »
D’ici à ce que l’on nous ressorte Jacques Delors comme certains ont déjà tenté de le faire…. Alors comme ça, une clique de politiciens tarés, d’affairistes sans honneur, de fonctionnaires arrivistes? On n’aura pas la cruauté de proposer des noms.
*Photo: Geert Vanden Wijngaert/AP/SIPA. AP21755807_000003.
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