Essayiste inégalable, le philosophe américain Allan Bloom (1930-1992) a laissé une oeuvre monumentale. Réédité aux Belles Lettres, L’âme désarmée est une charge virulente contre la modernité profondément enracinée dans les grands classiques.
C’est un brusque changement d’échelle. Notre crâne vient de heurter la semelle d’un géant. La lecture des livres d’Allan Bloom « re-hiérarchise » le monde – comme certains rêvent de le réenchanter – et ravive de vieux souvenirs : ainsi, c’était donc ça un essai ? Pas uniquement une diatribe contre l’air du temps écrite pour réserver son rond de serviette dans les débats. Et la critique littéraire a bel et bien connu ce genre de sommet avant de s’assoupir, fainéante, entre les « coups de cœur », les « chefs-d’œuvre absolus » hebdomadaires et les « livres qui font du bien » ?
« Un penseur qui accepte de prendre les risques que prennent généralement les romanciers. »
Une page de Bloom débute avec Stendhal, bifurque vers Nietzsche avant de trouver Marx sur sa route, le tout avec une fluidité déconcertante. « Je déroule et parcours en compagnie de mes amis les livres où les anciens ont déposé leur trésor » : en citant Socrate, Allan Bloom donne la plus juste définition de son style ou, du moins, du plaisir qu’il procure au lecteur. Saul Bellow, le complice de longue date, cadre encore plus serré pour cerner le cas Bloom : « Un penseur qui accepte de prendre les risques que prennent généralement les romanciers. » D’ailleurs, ce ton unique, ce mélange de grande érudition, de simplicité et de plaisir de la conversation s’entend aussi chez Bellow. Lisez les premières pages du Cœur à bout de souffle par exemple, la diatribe de l’oncle sur le piège de l’amour… Il y a du Bloom dans ces lignes. Saul Bellow lui
