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« Alice et le Maire » avec Luchini: en plein dans le mille

Coup de grâce pour le socialisme


« Alice et le Maire » avec Luchini: en plein dans le mille
Fabrice Luchini et Anaïs Demoustier. Copyright Bac Films

Dans le nouveau film de Nicolas Pariser, Alice et le Maire, Fabrice Luchini incarne avec brio un maire socialiste dont les magouilles traduisent à elles seules toute la perfidie et le vide du monde politique actuel. Cette comédie douce-amère est frappante de réalisme.


Un quart de siècle sépare L’Arbre, le maire et la médiathèque, d’Éric Rohmer du nouveau film de Nicolas Pariser, Alice et le Maire. Il aura donc fallu vingt-cinq ans à Fabrice Luchini pour passer du rôle d’instit écolo d’une petite ville vendéenne à celui de maire
socialiste de Lyon. Ainsi va le rythme du cinéma qui transforme ses acteurs stars en personnages emblématiques du moment. Rohmer jouait les éclaireurs avec son personnage d’écologiste empêcheur de maltraiter la nature, quand le fondamentalisme vert n’avait pas encore envahi l’espace public. Pariser, lui, s’amuse à enterrer définitivement le socialisme municipal et le socialisme tout court avec ce maire de Lyon tellement en panne d’idées qu’il en devient pathétique et qu’on imagine même en futur macronien déjà dépité, comme l’histoire récente l’a montré.

Dans les deux cas, dans ces deux figures a priori antagonistes, brille le joyeux joyau Luchini, preuve si besoin était que, tenu en laisse serrée par des cinéastes exigeants, notre cabot national peut faire des merveilles. Hier, on croyait d’emblée à l’instit raisonneur, aujourd’hui on adhère sans réserve au maire déboussolé, qui confond sa gauche et sa droite à force d’avoir retourné ses nombreuses vestes depuis 1981. Le film de Pariser vaut déjà pour ce casting réjouissant où l’on croise les impeccables Anaïs Demoustier, Thomas Chabrol et Nora Hamzawi. Il y a une réelle jubilation à les voir incarner le petit monde de conseillers qui gravitent et s’agitent autour de l’édile en dépression. Mais, au-delà de ce plaisir gourmand, le film donne à voir des réalités accablantes.

Le PS à la dérive

Dans son premier film, l’excellent Le Grand Jeu, avec Dussolier et Poupaud dans les rôles principaux, Nicolas Pariser brodait une fiction autour de l’affaire dite « de Tarnac ». La ténébreuse affaire en question trouvait précisément des accents balzaciens, Vautrin et Rastignac n’étant pas très loin. Avec Alice et le Maire, on s’éloigne un peu des rives de la Comédie humaine, mais la vraisemblance politique frappe par sa pertinence. Paul Théraneau, c’est le nom du maire, est clairement identifié comme un éléphant socialiste qui lorgne sur la direction du parti. Machiavel rhodanien, il s’escrime contre ses petits camarades bien décidés à lui barrer la route. C’était le « bon temps » du PS venu d’Épinay, des motions, des courants, des synthèses et des congrès. Pariser fait semblant de croire que tout cela existe encore à l’intérieur d’un parti qui n’intéresse plus personne. Et il a bien raison, car la vie quotidienne d’une cabine téléphonique de banlieue ne saurait guère alimenter la nécessaire fiction dont son film a besoin. Il y aura donc ici suspense, là où désormais, dans la vraie vie, la seule question pour le PS s’apparente à celles posées par l’euthanasie.

Fabrice Luchini dans "Alice et le maire"
Fabrice Luchini dans « Alice et le Maire » / Copyright Bac Films

C’est précisément ce relent de « vieux monde » assumé qui fait tout le prix, le poids et le charme d’un film dont l’argument tient en quelques mots : quand un élu socialiste en panne d’idées fait appel à une jeune philosophe, cela donne du… vent ! Toute ressemblance avec la réalité frappe ainsi par son bon sens. Et le film de Pariser emporte l’adhésion quand, portant ce navrant constat, il ne recourt ni à la farce ni au jeu de massacre pour l’illustrer. Il touche d’autant plus sa cible qu’il oscille entre la comédie douce-amère et le bilan désolant, mais juste. L’observation des jeux de pouvoir au sein du cabinet du maire devient un enjeu central du tableau. On fait semblant de croire que le communicant en toc a fait son temps. On se pâme devant l’intello littéraire aux mille citations. On veut croire au retour du livre dans la vidéosphère. On fait la fête du sens. Pour mieux, le moment venu, siffler la fin de la récré et faire de nouveau place au réel qui, comme chacun le sait, est à la fois têtu, cruel et borné. Et, quoi qu’il en soit, on reste bien loin des gilets jaunes. Là encore, Pariser fait preuve d’une infinie finesse. Il aurait pu, ne serait-ce que le temps d’une image alibi, montrer ce décalage. Il ne le fait pas et il a raison.

Un monde bien creux

Car dans ce monde-là, dans cette bulle politique qu’il décrit avec tant de justesse et d’acuité, l’en-dehors du peuple n’existe pas. La vacuité est à l’œuvre. C’est précisément ce que montre si bien Pariser. Toutes choses égales par ailleurs, la cour de Versailles devait à son crépuscule ressembler un peu à la mairie de Lyon. Décidément, Luchini est notre meilleure mascotte nationale : souvenons-nous que, dans l’admirable et récente Jeanne de Brunot Dumont, il incarne le… roi de France !

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Octobre 2019 - Causeur #72

Article extrait du Magazine Causeur




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Critique de cinéma. Il propose la rubrique "Tant qu'il y aura des films" chaque mois, dans le magazine

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