Alice Coffin / Christophe Girard: même à gauche, on se demande si ça ne va pas un peu trop loin…
« J’espère que les féministes ne vont pas rester bien polies, dans cette société, ça ne sert absolument à rien. » Cette phrase hilarante a dû être prononcée (ou écrite) par Christine Delphy, l’une des fondatrices du MLF, puisque Le Monde l’a choisie comme titre de l’entretien paru le 22 août. Si les féministes d’aujourd’hui sont « bien polies », c’est-à-dire bien gentilles, je préfère ne jamais faire l’expérience de leur impolitesse. De Caroline De Haas à Alice Coffin, dernière météorite apparue dans le paysage, on ne peut pas dire que la bonté de ces guerrières saute au visage. Si leur ennemi, le patriarcat, est devenu largement imaginaire, leurs coups sont réels. Quand elles plantent leurs crocs dans un mollet, c’est pour tuer. Elles y parviennent souvent. Ni le confinement ni l’été n’ont calmé leurs ardeurs.
Avec Alice Coffin, qui publie ces jours-ci Le Génie lesbien, chez Grasset, on bascule dans une nouvelle dimension. Son problème à elle, ce n’est pas seulement le patriarcat, ni même l’homme blanc qui doit être déchu de tous ses privilèges, c’est l’hétérosexualité. Cette vision du monde devrait la condamner à la marginalité politique. Pas du tout. Élue EELV à Paris, elle a obtenu la tête de Christophe Girard, élu parisien coupable d’avoir déjeuné avec Gabriel Matzneff, lui-même frappé de proscription par ces dames. Ancien bras droit de Pierre Bergé (avec lequel il avait rompu), il était considéré comme très proche d’Anne Hidalgo. Après avoir feint de braver la tempête, notre bonne maire a lâché son « ami » au deuxième coup de vent, quand un papier du New York Times a opportunément « révélé » que le talentueux dandy était en réalité un monstre pédophile. Un homme de 46 ans confiait avoir été abusé par Girard, trente ans plus tôt, dans le cadre d’une relation consentie. Quelques tweets pour faire monter la mayonnaise et, hop, le lendemain, le parquet ouvrait une enquête préliminaire pour viol ! « Relation consentie et regrettée », la nouvelle définition (non écrite) du viol est prometteuse. Tout comme celle de la pédophilie qui s’applique donc désormais à la sexualité avec des adolescents.
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À part ça, tout l’été, Le Monde a fait pleurer les chaumières avec l’histoire de Gabrielle Russier, martyre incomprise de la France gaullo-pompidolienne. On dirait que pour les adeptes présumés des amours interdites, le seul espoir d’échapper à la mort sociale soit de se suicider.
Bien entendu, on n’a pas plus entendu les amis de Girard, tous ceux qui, des années durant, se vantaient de dîner à sa table, que ceux de Matzneff il y a quelques mois – à quelques notables exceptions près. Défendre ceux que l’on soupçonne d’un crime plus grave que le terrorisme, ou simplement dire publiquement qu’on leur conserve son amitié, c’est prendre le risque d’être entraîné dans leur chute.
Cependant, dans les couloirs et dans les dîners, même progressistes, on se demande si tout ça ne va pas un peu loin. Même dans la presse de gauche, ou ce qu’il en reste, il est aujourd’hui admis, et même de bon ton, de dénoncer les excès de la « cancel culture », nom chic puisque anglais de la culture du lynchage, pratiquée à grande échelle par les antiracistes obsédés par la race et par des féministes obsédées par les places, mais aussi, quoique avec moins de succès, par les antispécistes : personne n’a encore été viré pour avoir mangé un steak ou fait une blague sur un animal. Des livres vont paraître, dont celui de David Doucet, l’une des victimes expiatoires et innocentes de l’effarante manipulation montée autour la Ligue du Lol. Dès procès auront lieu, où il apparaîtra que de grands médias ont limogé des salariés sur la seule foi des insultes et calomnies publiées sur les réseaux sociaux. Des journaux appellent à la résistance et pas seulement Causeur, Valeurs, L’Incorrect et Le Figaro, mais aussi L’Express, Le Point et d’autres encore.
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Peut-être y a-t-il là une occasion à saisir pour mettre fin à cette pratique permanente de la terreur. Encore faut-il comprendre comment elle fonctionne. Les meutes dont il est question sont généralement issues d’une nébuleuse d’associations dont l’existence est essentiellement numérique, mais qui, en surfant sur les vagues #Metoo ou #BlackLivesMatter, bénéficient d’un écho médiatique qui décuple leurs forces et leur capacité d’intimidation bruyante, faisant finalement céder les employeurs des salauds du jour. Ainsi parviennent-elles à faire tomber des têtes, parfois à obtenir des places, souvent à grappiller de l’argent public. Et surtout à faire peur. Il faut donc rappeler que ces groupuscules, qui transforment le débat public en procès stalinien, comptent peu de militants actifs, prêts à s’engager autrement que derrière un écran. Ils tiennent leur pouvoir de nuisance des médias qui les encensent, des entreprises qui leur obéissent et des institutions qui les cajolent. Il suffirait, pour les en priver, et venger la majorité silencieuse, d’ignorer leurs accusations sans preuve et exigences insensées – « interdisez ce film ! », « débaptisez ce lieu ! », « inculpez ce gendarme ! » « expulsez ce salaud ! ». Faute de parvenir à cette improbable sagesse collective, arrêtons déjà de prendre au sérieux cette impayable collection de faux durs et opposons-lui la seule réponse qu’elle mérite : un immense éclat de rire. Ces jours-ci, on n’a pas beaucoup d’occasions.