La dette de la France ne cesse de se creuser années après années. Depuis l’arrivée au pouvoir de celui qu’on qualifiait de « Mozart de la finance », elle n’a jamais été aussi conséquente. Retour sur le « quoi qu’il en coûte » …
La Cour des comptes a publié son premier rapport de l’année consacré à la situation d’ensemble des finances publiques, après deux années noires. En effet, en 2024 pour la deuxième année consécutive, le déficit public s’est aggravé pour atteindre près de 175 Md€, soit 6,0 points de PIB après 5,5 points en 2023 et 4,7 points en 2022. La dette publique culmine désormais à près de 3 300 Md€ et les charges d’intérêt à 59 Md€. Il s’agit d’une dégradation inédite alors que la croissance économique est restée positive pendant cette période. Si la faible progression des impôts expliquait en partie la contre-performance de 2023, c’est à l’inverse la dynamique des dépenses qui est en cause en 2024, principalement du côté des collectivités locales et de la protection sociale.
Des rapports non contraignants, Macron gagné par la fièvre dépensière
La France, seule en Europe à voir ses finances publiques continuer de se dégrader, a obtenu de ses partenaires que le terme de sa trajectoire de retour du déficit sous les trois points de PIB soit repoussé de 2027 à 2029 : après deux faux-départs, l’année 2025 est désormais déterminante pour engager l’ajustement budgétaire nécessaire que la Cour évalue à 110 Md€, soit plus du double de celui évalué à l’été 2023 avant le dérapage des derniers mois.
Il faut souligner ici que, de rapports en rapports, la Cour des Comptes a beau s’alarmer et pointer du doigt ce qui ne va pas depuis au moins Philippe Séguin (2004-2010), ses rapports n’ont aucune force contraignante et ne sont, le plus souvent, pas suivis d’effets.
Une période phare va ici retenir notre attention : 2023-2024. Annonçons clairement les choses : présidence Macron, Borne et Attal à Matignon, Le Maire à Bercy. Nous titrons cette analyse, Ali Macron et les quarante voleurs. On aurait pu dire, plus imprudemment, et les trois voleurs.
Dans son N° du 31 Octobre dernier (2726), Le Point a consacré une très intéressante et fournie analyse à « l’étrange fin de règne » de Macron. Parmi les « étrangetés », on relève celle relative à la dette française. Il est même titré : « le président de la dette : histoire d’une faute ». On le sait, en l’espèce c’est durant le mandat du locataire de l’Elysée que la dette s’est creusée de façon abyssale : plus de 1000 milliards. Avec Philippine Robert du Point, on est en droit de s’interroger « comment cet adversaire de la dette qui promettait de dézinguer tous les dogmes a-t-il été atteint par la fièvre dépensière » ? Et l’on peut rajouter plus qu’aucun autre de ses prédécesseurs ! Le successeur de François Hollande a donc consciemment laissé filer la dette en distribuant à tous crins chèques et crédits. Et, pour faire bonne mesure, il a cautionné quelques manipulations afin d’« habiller » les choses. Et il a associé à cette vilénie des Premiers ministres et un ministre de l’Economie. Il y a donc eu « faute » au plus haut sommet de l’Etat que l’on va relater. Et l’on montrera avec Joseph Joubert qu’ “il est dans l’ordre qu’une peine inévitable suive une faute volontaire.”
Le début du massacre budgétaire est daté : 2020. L’an I du « quoi qu’il en coûte ». Pas plus qu’il n’a su le gérer humainement (la France est le seul pays à avoir été confiné ainsi) et sanitairement, face au Covid Emmanuel Macron a ouvert les vannes financières. Et surtout, pas une fois il n’a provisionné (contrairement à tous nos voisins européens). Les grands reporters du Monde Davet et Lhomme viennent de publier un ouvrage au vitriol sur cette période que nous conseillons vivement à chaque lecteur : Les juges et l’assassin (Flammarion). C’est une plongée dans les six premiers mois de cette crise Covid. Un voyage fou au cœur d’un exécutif aussi défaillant que menteur.
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Financièrement, en ces années 2020, pas question pour qui que ce soit de contester le roitelet de l’Elysée : « De toute façon les locataires de Bercy et de Matignon n’avaient pas le choix. Le président savait mieux qu’eux ce qu’il fallait mettre en œuvre » nous confiera un ancien haut fonctionnaire de Matignon. Le Maire, à Bercy, fut même assez zélé de ce point de vue. Le robinet de l’assistance sociale sera abondamment ouvert. Chronique chez les petits-fils de Mitterrand. Macron en est.
Bilan de la grande braderie financière du Covid ? Certes des faillites et des pertes d’emploi sont évitées. Mais à quel prix ! Un déficit qui flirte avec les 10% et une dette publique gonflée à plus de 110 % du PIB…. Record ! Comme le confesse l’économiste Gilbert Cette, très en cours à l’Elysée, « le problème c’est que nous avons débranché trop lentement ces mesures ». En cette fin 2020 la dette a augmenté de près de 280 milliards. Qui dit mieux en Europe ? Personne.
En 2021, ce devait être la fin du « quoi qu’il en coûte » disait Le Maire. Tellement faux que la dépense publique s’accroit de 2%. On constate alors que, s’il y a un frémissement économique, le déficit dépasse les 6% fin 2021. La dette augmente encore de près de 165 milliards. Eh oui mais horizon de la présidentielle oblige, il faut « arroser » l’électorat macronien (enseignants, magistrats, retraités, jeunes). A Matignon depuis 2020, précisons que Jean Castex (dit M. Crise) a tout exécuté sans sourciller. En rejetant une nouvelle fois Marine Le Pen en ce printemps 2022, les Français réélisent donc Macron. Encore une élection par défaut. Il a nommé Élisabeth Borne à Matignon qui, face à une majorité relative, va tout gérer à coups de 49-3. L’année 2022 s’achève sur un déficit qui avoisine les 5% et une dette à près de 110 % du PIB. Circonstance aggravante : l’inflation est à près de 6%.
Arrive alors 2023. L’agence de notation Fitch (la seconde plus grosse agence américaine qui évalue la capacité de remboursement des pays emprunteurs) baisse la note de la France. Dans le document produit, Fitch souligne « des déficits budgétaires importants et des progrès modestes » et évoque « l’impasse politique (ndlr : la majorité relative) et les mouvements sociaux (ndlr : grèves pour les retraites) ». C’est alors à la Cour des Comptes (présidée par Pierre Moscovici) de porter l’estocade.
Finances hors de contrôle
Dans son rapport 2024 (analysant les comptes 2023) elle parle sans ambages d’une « très mauvaise année en matière de finances publiques ». Et de dénoncer « aucun effort financier d’économie en dépense ». Surtout elle décrit ce qui peut être la meilleure synthèse des mandats Macron en matière financière : « une progression nettement supérieure à l’inflation des dépenses publiques hors charges d’intérêts et hors mesures exceptionnelles de soutien face aux crises sanitaire et énergétique ». Et Pierre Moscovici (pas macroniste pour un sou !) lui-même avertira publiquement : « Nous avons perdu le contrôle de nos finances (…) Si nous ne faisons rien, notre dette publique passerait de 110% du PIB aujourd’hui à 124% en 2027 ». Toujours selon lui : « on pourrait atteindre les 3 800 milliards d’euros de dettes, ça veut dire que chaque année, on devrait rembourser 80 milliards d’euros et plus pour financer cette dette », alors qu’« en 2021 », on dépensait « 25 milliards d’euros » (20 h de France 2, 18 Septembre 2024). Mme Borne ne dit mot. Elle gouverne à coups de 49-3. Elle a si bien servi le pays que le président la remercie purement et simplement en janvier 2024. C’est au tour d’un jeune premier, Gabriel Attal (35 ans), de s’installer à Matignon. A peine arrivé débutent les manifestations d’agriculteurs qui entraînent des blocages routiers significatifs. Macron se met habilement en retrait (sauf un accueil tendu au Salon de l’Agriculture) et laisse Attal manœuvrer. Là encore c’est le chéquier qui est utilisé : 300 millions d’euros pour les filières en difficulté, report de crédits, mesures de simplification (plateformes en ligne dans les préfectures), report d’augmentation du gazole non routier, diverses mesures au niveau européen (jachères). Un nombre incalculable de promesses dont l’immense majorité ne verront pas le jour (dissolution oblige…) au coût des centaines de millions d’euros supplémentaires.
Le mécontentement est tel dans le pays (surtout contre M. Macron), que la majorité perd les Européennes et suite à une dissolution totalement inopportune (« un caprice de gamin à l’ego surdimensionné» comme nous dira un ancien député), il subit une défaite historique aux législatives. Celle-ci plonge le pays dans l’instabilité politique la plus totale depuis 1958.

Le 5 septembre 2024 c’est la nomination du gouvernement Barnier après un pathétique bal des prétendants (jusqu’à une illustre inconnue, Lucie Castets) que le président a savamment organisé. En ce mois d’octobre 2024, le député Thomas Cazenave (ministre des Comptes publics jusqu’à Septembre), marconiste convaincu, se demande comment le déficit (au creusement duquel il a participé !) a pu se creuser en quelques mois de 4,4 à plus de 6%. La Commission des Finances de l’Assemblée nationale a décidé, face à cette situation ahurissante, d’enquêter avec une commission. L’ex-ministre sait qu’il sera auditionné. Comme Mme Borne, MM Le Maire et Attal. Ils étaient au cœur du réacteur d’où s’échappait la fumée toxique…
M. Cazenave se justifie en précisant, tel l’écolier et son « ce n’est pas moi c’est lui », « les cabinets ministériels ne font pas les prévisions de recettes ». Peut-être mais en estimant les déficits, ils doivent au moins en avoir une idée pour tendre vers un (inaccessible) équilibre. Comme le relate encore Le Point, une seconde note interne a alerté Bruno Le Maire. Le déficit va friser les 6 % (5,7). En réponse le ministre, tel Gérard Majax à sa belle époque, annule 10 milliards de crédits. Le gouvernement, par le biais de Gabriel Attal, revoit sa prévision de déficit à 5, 1%. Puis deux gros problèmes s’enchaînent : l’agence S & P (autre agence américaine de notation) dégrade la note de la France et Bruxelles lance une procédure de déficit excessif.
A son départ Bruno Le Maire annonce un « trou » à 5,6%. En octobre il adresse un SMS énigmatique à France Télévisions : « La vérité apparaîtra plus tard ». Il en dit trop ou pas assez. On ne peut que se rallier à Gauthier Le Bret sur CNews « S’il y a vérité qui doit éclater, ça veut dire qu’il y a eu mensonge ». Là encore tout est dit. A l’heure qu’il est, rien n’est apparu. Rien n’a éclaté. M. Le Maire fait des cours et des conférences en Suisse. Mme Borne est redevenue ministre. M. Attal, élu député, se prépare pour 2027.
Fin septembre, le nouveau ministre du Budget, Laurent Saint-Martin redoute que le déficit dépasse les 6%. Raisons invoquées ? Augmentation des dépenses des collectivités territoriales (David Lisnard, maire de Cannes, président de l’AFM est vent debout ; idem pour l’Assemblée des Départements de France) et recettes inférieures aux prévisions (vu le contexte il ne fallait pas être grand clerc pour s’en douter). On hésite entre amateurisme, sur-optimisme et, pire, mensonge. En tout cas le problème se situe au plus haut niveau de l’Etat : Elysée (où « Mozart » réside) ? Matignon (« Méchanta » Borne et Salieri alias Attal ?!) ? Bercy (« Iznogoud » est un surnom de Bruno Le Maire) ?
Le premier à avoir défini clairement cette situation à tout le moins douteuse, c’est Jean-François Husson le rapporteur général de la Commission des Finances du Sénat. Fin connaisseur des budgets de l’Etat. Il est allé faire une inspection sur place et sur pièces en mars 2024. Il a justifié ce déplacement (très rare sous la Ve) : « Si je suis allé à Bercy chercher des informations, c’est parce qu’on a besoin de comprendre » (Journal La Semaine, 15/11/2024). Les informations données ont, un temps, étaient réputées incomplètes voire insincères. Voire mensongères.
Parmi les conclusions tirées l’une est particulièrement significative et lourde de sous-entendu (au sens lacanien du terme) : « il y a en tout cas eu rétention d’information ». Encore cette précision d’un ex haut fonctionnaire ministériel de nos connaissances : « nous en sommes là car l’exécutif pensait mieux savoir et mieux réussir que tout le monde. Et surtout que le Parlement ». Mme Robert du Point hésite entre de l’entêtement, du péché d’orgueil ou de l’aveuglement. Nous sommes intimement persuadés que c’est les trois ! Mais nous rajouterons aussi, plus grave, le mensonge. Ce qui est grave, c’est qu’en ne faisant rien ou l’inverse de ce qu’il faut faire voire en dissimulant, ceux qui nous gouvernent ont commis des fautes caractérisées. Et nous en sommes en cet automne 2024 à 1000 milliards de dette impulsée et/ou cautionnée par Macron. Et la Commission Européenne ainsi que les marchés nous encerclent… La période critique de propagation de l’épidémie déficitaire est donc 2023-2024. Le rapport de la Cour des Comptes le cible clairement.
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Bien sûr lorsqu’ils sont passés devant la commission sénatoriale des Finances le 7, 8 et 15 novembre dernier, Mme Borne, MM Attal et Le Maire ont, pour faire simple, juré grand Dieu qu’ils n’y étaient pour rien et qu’ils avaient fait au mieux ! Nous avons remarqué toutefois que les trois protagonistes, pour justifier cette dette et les choix faits, se sont réfugiés derrière une formule énigmatique répétée au mot près : « La réponse est à demander à ceux qui ont pris l’arbitrage ». M. Le Maire a osé mettre en cause ses successeurs. Répétons encore sa formule lâchée en octobre dernier : « La vérité apparaîtra plus tard »…
Mme Borne interrogée sur une note interne sensible dont elle fut destinatrice, a déclaré ne plus se souvenir…. De qui se moque-t-on ? Quant à M. Attal il a été poussé dans des retranchements qui l’ont fait apparaitre parfois comme un étudiant pris en faute. Il a essayé des tours de passe-passe mais les membres de la commission, notamment M. Husson, ne sont pas des novices. Ce genre de comportements s’assimile à ce que les rugbymen ou les boxeurs appellent s’échapper. Mais quand on s’échappe, on peut être rattrapé par la patrouille !
Cette commission sénatoriale a été suivie par une commission d’enquête, présidée par M. Coquerel, qui ne semble pas pressée du tout de faire son ouvrage. Les présidents militants ont parfois des préventions inexpliquées face à certains évènements. Il est plus important d’aller visiter l’ancien terroriste antisémite Abdallah en prison.
En conscience nous avons estimé que le comportement de Mme Borne, MM. Attal et Le Maire étaient coupables. Donc nous avons saisi, le 16 décembre 2024, arguments à l’appui, sur la base de l’art. 68-2 C, la commission des requêtes de la Cour de Justice de la République. Sans répondre à aucun de nos arguments, celle-ci a rejeté notre saisine le 23 janvier 2025. Et pourtant nous persistons à penser que ces personnalités se sont rendues coupables d’un certain nombre de fautes (de nature délictuelle ?) dans la gestion budgétaire de notre pays lorsqu’elles en avaient la charge. Il n’est nul besoin de notre modeste recours pour démontrer que cette Cour est aussi unique qu’inique. Là aussi Emmanuel Macron avait annoncé sa suppression. Là encore il s’est renié en n’en parlant plus. Mais il est vrai qu’il ne fallait pas la toucher, elle qui allait laver de tout soupçon son Garde des Sceaux, Dupond-Moretti.
Nous restons persuadés qu’avec sa vérité, M. Le Maire a certainement les clés pour débloquer la situation. Mais comme chantait l’immense Brel,
… Faut vous dire, Monsieur
Que chez ces gens-là
On n’cause pas, Monsieur
On n’cause pas
On compte
Pour finir rappelons que le rapport 2025 de la Cour des Comptes met clairement en exergue une dérive budgétaire que l’on n’avait encore jamais vu, on l’a dit. Lorsqu’on réfléchit bien, le chef d’orchestre de ce fiasco n’est autre que l’actuel locataire de l’Elysée. On l’a vu plus haut, le dérapage débute véritablement avec sa gestion dispendieuse du Covid. Cette dernière n’eut d’égale que la dictature sanitaire qu’il a mise inutilement en place. Tous les experts sensés se rejoignent là-dessus quatre ans après.
Le grand responsable est donc, selon nous, le chef de l’Etat. Et quand, même « Mozart de la finance (Attali) », vous « jouez » avec les dépenses publiques, que vous appauvrissez le pays comme jamais aucun avant lui ne l’avait fait, vous êtes coupable d’une faute caractérisée à l’art. 68 C : Le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour.
Ce n’est pas la première fois que nous plaidons pour la destitution du président Macron. Certains députés mélenchonistes ont tenté des motions en ce sens toutes plus ineptes les unes que les autres. Aggraver de façon aussi inédite que lourde le déficit du pays par des mesures inadaptées, relève d’un manquement caractérisé aux devoirs de la fonction. D’abord celui de la malhonnêteté.
« L’impunité habituelle des actions malhonnêtes ruine le sentiment même de l’honnêteté » (Gustave Vapereau).
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