Isolée diplomatiquement, en proie à une faillite économique et politique, l’Algérie est de plus en plus agressive à l’égard de ses voisins marocains et français. Pour le moment, ce n’est pas une stratégie gagnante.
Deux pays, deux ambiances. Deux histoires, deux approches du territoire, deux situations politiques. Le Maroc et l’Algérie sont bien deux pays différents en rivalité permanente. Le Maroc a pour lui la profondeur historique et la stabilité de sa monarchie. L’Algérie a, un temps, recueilli les espoirs des révolutionnaires politiques et tenté de prendre la tête d’un tiers-monde arabe, espérant jouer le premier rôle devant l’Égypte et la Syrie. Temps révolus que la corruption, la faillite et l’enlisement social ont rangé au placard des illusions. Ne reste plus à l’Algérie, pour camoufler encore un peu ses échecs, qu’à faire usage de la corde nationaliste en s’élevant contre ses voisins.
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Raviver les tensions avec le Maroc
Le 24 août dernier, Alger a rompu ses relations diplomatiques avec Rabat, puis a interdit aux avions commerciaux marocains de survoler son territoire. Ces tensions trouvent leurs origines immédiates dans les flammes qui ont ravagé la Kabylie durant l’été. Les autorités ont été incapables de les circonscrire et de les éteindre par manque de pompiers et de matériel. Cette impuissance ayant porté un grave coup à l’orgueil national, il fallait un coupable. L’Algérie a donc accusé le Maroc et Israël d’être responsables de ces incendies : les feux auraient été allumés par des Kabyles indépendantistes financés par Rabat et Tel-Aviv. Occasion de rappeler qu’Alger a peu apprécié que le Maroc et Israël normalisent leurs relations diplomatiques en échange d’une reconnaissance, par Israël, de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Or, les Algériens veulent récupérer cette région riche en phosphate pour redynamiser leur économie exsangue. Autant dire que ce conflit, déjà ancien, n’est pas près de s’arrêter. Le 10 décembre 2020, Donald Trump a lui aussi reconnu officiellement la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental – reconnaissance réaffirmée par Joe Biden le 5 juillet 2021– et ce nouveau camouflet pour la diplomatie algérienne a contribué à l’escalade du mois d’août.
Fin septembre, lors du dernier sommet de l’ONU, à New York, le ministre des Affaires étrangères algérien, Ramtane Lamamra, a donc insisté sur la nécessité d’une indépendance du Sahara occidental : « L’organisation d’un référendum libre et équitable pour permettre [au peuple sahraoui] de déterminer son destin et de décider de son avenir politique ne peut rester à jamais l’otage de l’intransigeance d’un État occupant qui a failli à plusieurs reprises à ses obligations internationales. […] Le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination est inaliénable, non négociable et imprescriptible. » Ces propos ont été suivis par ceux du ministre de la Défense algérien qui a accusé le Maroc de conspiration et d’atteinte à la sûreté de l’Algérie: « L’attachement de l’Algérie à ses principes et sa détermination à ne guère en dévier dérangent le régime du Makhzen [le palais marocain] et entravent la concrétisation de ses plans douteux dans la région. Ce régime expansionniste est allé trop loin, dans les conspirations et les campagnes de propagande subversives visant à réduire le rôle de l’Algérie dans la région. » Il a ensuite accusé le Maroc de « tenter de porter atteinte à l’unité [du peuple algérien] en semant la discorde et la division en son sein ». Ce discours témoigne d’une montée croissante des rivalités entre les deux pays. Une escalade qui fait craindre une nouvelle « guerre des sables », comme celle qui les avait déjà opposés en 1963.
Pour accentuer ses pressions, Alger a également lancé une « guerre du gaz » en modifiant le passage des livraisons vers l’Espagne. Dès le 26 août, et après une rencontre avec l’ambassadeur espagnol, le ministre algérien de l’Énergie a annoncé que les livraisons à la péninsule ibérique se feraient via le gazoduc Medgaz, qui relie directement l’Algérie à l’Espagne (Beni Saf-Alméria). Ce faisant, l’Algérie renonce à utiliser le gazoduc Maghreb-Europe, qui relie Hassi R’Mel à Cordoue via le Maroc et permet au royaume chérifien de percevoir de précieuses royalties payées en gaz naturel, selon des accords de 1991 qui doivent, en principe, être renouvelés cet automne.
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La fête des voisins se poursuit avec la France
Début octobre, l’Algérie a également interdit à nos avions de survoler son territoire, obligeant l’armée française à un long détour pour se rendre au Mali. Et il n’est pas certain que les autoflagellations d’Emmanuel Macron au sujet de la guerre d’Algérie changent quoi que ce soit. Profitant des tensions entre le Mali et la France, le chef de la diplomatie algérienne a accusé Macron de « faillite mémorielle » et affirmé, depuis Bamako, le 5 octobre, que les Occidentaux devaient « décoloniser leur propre histoire ».
Sur le terrain, on commence à dénombrer de sérieux accrochages. Le 14 octobre, un garde-frontière algérien a été tué, lors d’une mission à la frontière marocaine, dans l’explosion d’une bombe artisanale. Nul ne sait qui a posé cette bombe et dans quel but, mais le gouvernement algérien laisse entendre que le Maroc est impliqué. Pendant ce temps, le Maroc se prépare à la guerre : achat de missiles à Israël, de drones à la Turquie, de matériel de transport aux États-Unis…
Après la défaite des islamistes et l’arrivée au gouvernement d’un parti proche du Palais, Mohammed VI dispose d’une plus grande latitude de gouvernement. Il est à ce jour le seul dirigeant arabe à avoir évincé les islamistes de façon légale et sans avoir eu recours à la force. Conforté à l’intérieur, le régime marocain peut désormais affronter de façon plus sereine les tensions diplomatiques, voire militaires à venir.
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Quant à la France, elle doit prendre ses responsabilités. Les liens historiques et économiques qui nous unissent au Maroc sont anciens et étroits, alors qu’Alger bénéficie du soutien de l’Allemagne qui souhaite depuis toujours l’indépendance du Sahara occidental afin de faire main basse sur la région. Le conflit, encore larvé, entre le Maroc et l’Algérie nous concerne donc directement.