Les héritiers d’une révolte figée en dogmes ne voient en l’Occident que corruption et décadence. Et en arrivent à défendre des régimes indéfendables
La question est posée : les Insoumis servent-ils aujourd’hui de courroie de transmission du pouvoir algérien ? L’extrème gauche française serait-elle en service commandé par le président Tebboune pour attaquer, comme le font récemment Marine Tondelier (Les Verts) et Ersilia Soudais (LFI) en prenant le parti des influenceurs qui ont appelé à la haine contre la France, le gouvernement français et en particulier son ministre de l’Intérieur ?
Il n’est pas besoin d’imaginer chez les Insoumis une complicité ou une alliance effective avec le gouvernement algérien ou avec le Hamas. Les Insoumis sont en fait les héritiers de la contre-culture des années 60. Les années 1960 ont vu émerger une contre-culture qui se voulait révolutionnaire et profondément critique de l’ordre établi. Pourtant, les idées qui semblaient alors radicales se sont progressivement intégrées au tissu même de la société contemporaine, au point de devenir des dogmes dominants. Ce qui fut autrefois un cri de révolte est aujourd’hui une pensée conformiste, voire une orthodoxie idéologique, un mélange de marxisme et de christianisme revisité.
Les slogans de cette époque résonnent encore aujourd’hui : « Nous sommes une seule humanité », « Abattons les drapeaux, les impérialismes et les frontières », « La guerre est un mal absolu », « Le complexe militaro-industriel est la source de nos maux », « Il est impératif de lutter contre le racisme », « Les Blancs portent la responsabilité des massacres de l’histoire, de la destruction de la nature et de la vie sauvage ».
Ces proclamations, si elles conservaient une certaine spontanéité dans les années 60, se sont muées en dogmes rigides et omniprésents, façonnant les valeurs des générations suivantes, en particulier celles de la petite bourgeoisie intellectuelle dont les Insoumis sont les représentants politiques.
Une incapacité à tolérer la nuance…
Les idées révolutionnaires des années 60 ont échoué à se matérialiser en révolutions concrètes. Cette incapacité à produire un véritable renversement des structures de pouvoir a conduit à leur institutionnalisation. Ce qui n’a pu transformer la société par l’action s’est cristallisé sous forme de croyances absolues, imposées comme des vérités universelles et incontestables. Le combat contre le patriarcat et la société bourgeoise, par exemple, a perdu son caractère subversif pour devenir un credo dogmatique, parfois simpliste, incapable de tolérer la nuance ou la complexité.
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Les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité ont été adaptés, voire déformés, au contact des contraintes du réel. L’idéalisme romantique, en quête d’un monde libéré de ses entraves, s’est trouvé confronté à des paradoxes : une volonté de promouvoir l’émancipation individuelle tout en soutenant des systèmes oppressifs ou autoritaires dans certaines régions du monde.
Les héritiers de cette contre-culture ont cultivé une fascination pour l’« ennemi exotique » ou le « noble opprimé ». Dans cette perspective, le Viêt-cong pieds nus, le fedayin du FLN, ou encore les « damnés de la terre » décrits par Frantz Fanon incarnaient une pureté morale et une authenticité que l’Occident, perçu comme corrompu et décadent, semblait avoir perdu.
Cette admiration s’est accompagnée d’un mépris, voire d’une haine, envers l’Europe coloniale et l’Amérique impérialiste. Mais ces héritiers n’ont pas craint la contradiction : ils prônaient une liberté sans limites tout en soutenant des régimes autoritaires issus du tiers-monde, comme ceux de Hô Chi Minh, Mao Tsé-Toung ou Robert Mugabe. Loin d’être un problème, ces paradoxes semblaient être une partie intégrante de leur vision du monde, dans laquelle se mêlaient marxisme-léninisme, néo-christianisme et un goût pour l’orientalisme.
L’attachement à une mythologie révolutionnaire…
Parmi les héritiers de la contre-culture, nombreux furent ceux qui virent leurs illusions s’effondrer face à la dureté de la réalité. Certains ont sombré dans des ruptures tragiques, marquées par des parcours de désillusion.
La toxicomanie, omniprésente dans les milieux contestataires de l’époque, a emporté une part significative de cette génération, menant à des overdoses ou à une mort lente par des maladies comme le Sida. Le suicide fut pour d’autres une issue ultime face à l’impossible réconciliation entre leurs idéaux et le monde qui ne changeait pas.
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Cependant, d’autres héritiers de cette culture de rébellion ont assumé leurs contradictions en choisissant une tout autre voie. Ils sont devenus des adeptes de l’économie globalisée, embrassant un libéralisme économique décomplexé tout en conservant des positions libertaires sur les questions sociétales. Ce mélange de pragmatisme et de compromission reflète une certaine souplesse idéologique, voire une aptitude à exploiter le système qu’ils avaient initialement rejeté. D’autres en revanche et c’est le cas des Insoumis sont restés attachés à cette mythologie révolutionnaire.
La jeunesse des années 60, avide de changement, s’est dressée contre une société qu’elle percevait comme engoncée dans les préjugés patriarcaux et l’ordre moral bourgeois. Cette révolte a profondément marqué les mentalités contemporaines, au point de modeler les valeurs des générations qui ont suivi. Les élites actuelles, qu’elles soient politiques, culturelles ou académiques, ont été nourries au lait de cette contre-culture.
Les grands principes en sont devenus des leitmotivs presque religieux :
• L’humanité est une et indivisible. La solidarité universelle prime sur les particularismes ;
• Les riches et les puissants sont les oppresseurs. L’inégalité économique est considérée comme la source principale des injustices ;
• L’étranger est notre frère, surtout s’il est pauvre. Le migrant, le réfugié ou le marginal est vu comme une figure rédemptrice ;
• Les Blancs portent une culpabilité historique. De la colonisation à l’esclavage, en passant par la destruction de la nature, la civilisation occidentale est perçue comme la « lie de la terre ».
On en vient à quasiment soutenir les influenceurs algériens…
Ce corpus idéologique a façonné un imaginaire collectif où la quête de justice sociale et écologique coexiste avec des contradictions non résolues. Par exemple, la glorification des cultures non occidentales s’accompagne souvent d’une vision simpliste et romantique de celles-ci, ignorant leurs propres dynamiques complexes. De même, l’obsession de la liberté individuelle et de l’émancipation peut se heurter à une intolérance grandissante envers les opinions dissidentes. Les idéaux d’unité et d’égalité, bien qu’aspirationnels, peuvent aussi se heurter à une réalité qui valorise la diversité culturelle et les spécificités identitaires.
L’universalisme hérité de cette contre-culture risque parfois d’éclipser la reconnaissance des différences. Enfin, cette pensée dominante tend à écraser le débat, en transformant les nuances en affrontements moraux. Ce qui était une critique vivante et féconde de l’ordre établi est devenu, pour certains, une nouvelle forme d’autoritarisme culturel et intellectuel. Antisionisme rabique, haine de la France et de son gouvernement qualifié « d’extrême-droite » sont devenus pour une partie de la jeunesse, mobilisée par Jean-Luc Mélenchon et ses Insoumis, les éléments principaux d’une cause qui les conduit à devenir les idiots utiles de régimes et d’idéologies totalitaires.
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