Une malencontreuse erreur de manipulation informatique a fait disparaître les derniers feuillets du discours du Président de la République française devant les membres de l’Assemblée nationale populaire algérienne. Ils n’ont donc pas pu être prononcés. Par miracle, ils sont réapparus dans le disque dur de la rédaction de Causeur.
Mesdames et Messieurs les députés,
Mon choix de la vérité pour l’évocation du passé colonial, des souffrances imposées par ce système d’exploitation et d’oppression du peuple algérien m’impose aussi de vous parler franchement du demi-siècle écoulé. En 1962, pour la première fois, l’Algérie devenait maîtresse de son destin. L’homme algérien entrait dans l’Histoire, comme ne l’aurait pas écrit la « plume » de mon prédécesseur. Mais il y entrait par la mauvaise porte : celle du socialisme bureaucratique, du parti unique, de l’économie planifiée. Pour que cela soit bien clair aux yeux du monde, l’Algérie indépendante s’est intitulée « République algérienne démocratique et populaire », appellation encore en vigueur aujourd’hui malgré la chute du mur de Berlin. Vous ne la partagez plus, cette appellation, qu’avec un seul autre pays sur cette planète : la Corée du Nord.
Vos modèles, à l’époque, étaient la République démocratique allemande et les républiques populaires de derrière le « rideau de fer ». Vos dirigeants, certes, ne se déclaraient pas communistes, car cela aurait heurté la sensibilité musulmane de la grande majorité de votre peuple, qui rejetait le marxisme athée. Mais pour tout le reste, la caste politico-militaire qui a accaparé le pouvoir – et dont nombre d’entre vous, Mesdames et Messieurs les députés, êtes directement issus – s’est coulée dans le moule des pratiques et des discours du communisme post-stalinien : cela consiste à couvrir de grands mots, comme « démocratique », « populaire », « appropriation collective des moyens de production » etc… une réalité notablement différente.[access capability= »lire_inedits »] Bientôt, ce fut la pénurie partout, ou presque : faute d’avoir favorisé, comme au Maroc, une politique de contrôle des naissances, la démographie algérienne explosait, alors que la production agricole s’effondrait. Les services publics se dégradaient pendant que l’argent de la rente pétrolière et gazière était englouti dans la construction d’une industrie lourde, à la soviétique, dont il ne reste aujourd’hui rien. Pendant que vous vous gargarisiez avec une langue de bois d’importation, l’inventivité populaire enrichissait le sabir franco-arabe de mots plus adaptés à l’état de la société algérienne : les jeunes désœuvrés qui passent leurs journées à « tenir le mur » sont les « hittites » ; ceux qui brûlent leurs papiers d’identité et émigrent clandestinement vers la France sont les « harragas », et ceux qui survivent grâce aux trafics en tous genres entre les deux rives de la Méditerranée sont connus sous le vocable de « trabendistes ».
Le slogan maoïste « Servir le peuple ! » que vous brandissiez à l’époque se traduisait, dans le réel, par un système où une nomenklatura se servait, laissant à Allah le soin de pourvoir aux besoins du peuple.
Ce dernier ne se le fit pas répéter deux fois : il chargea ses plus zélés serviteurs de « faire du social » pour soulager la misère des petites gens. Mais les barbus qui donnaient du pain à ceux qui en manquaient et des soins à ceux qui en étaient privés ne cultivaient pas l’abnégation comme les dames patronnesses du Secours catholique ou les bénévoles des Restaurants du cœur. La conquête des cœurs était pour eux le prélude à celle du pouvoir, afin d’instaurer dans votre pays la théocratie de leurs vœux, selon les principes de la version wahhabite de l’islam.
Dans les années 1990, vous fûtes contraints, par le mouvement de l’Histoire – et les émeutes d’octobre 1988 –, d’instaurer en Algérie le minimum de fonctionnement démocratique pour sortir, au moins en apparence, du modèle proto-communiste. Il n’est guère étonnant que, dès les premières élections libres de décembre 1991, les islamistes aient remporté la majorité des suffrages – victoire qui entraîna l’annulation des élections et une guerre civile sanglante.
Mesdames et Messieurs les députés − et là je m’adresse à ceux d’entre vous qui se réclament toujours du FLN −, il faut vous reconnaître une qualité : celle de savoir faire la guerre. Vous avez beaucoup appris de ceux que vous combattiez pour gagner votre indépendance. En dix ans, et au prix de 200 000 Algériens morts, vous avez su, par le fer et par le feu, les ratissages et la torture, conserver un pouvoir dont les urnes vous avaient privé.
C’est ainsi que, jusqu’à aujourd’hui, vous pouvez jouir dans une paix relative des prébendes que la rente pétrolière et gazière assure à votre classe dirigeante. Vous avez, me dit-on, 200 milliards de dollars en réserves de change. Votre dette publique est quasi nulle. Et pourtant, votre peuple souffre. Dans les villes, les coupures d’eau et d’électricité sont dignes d’un pays du Sahel. De votre magot, vous ne redistribuez que le minimum permettant de calmer, pour un temps, la colère du peuple. Cela vous a évité, jusqu’à présent, de connaître le sort de vos homologues tunisiens, égyptiens et libyens. Votre exigence de posséder 51% des parts des entreprises créées par des investissements étrangers décourage la plupart d’entre eux de venir participer au développement de votre pays. Vous avez laissé en déshérence un patrimoine touristique qui pourrait être le plus attirant du Maghreb. Vos entrepreneurs, qui peuvent réussir magnifiquement à l’étranger, notamment en France, se sont découragés face à votre corruption et à votre arbitraire législatif et réglementaire. Le savoir-faire et le savoir-travailler de votre peuple se sont évanouis, au point que les entreprises chinoises qui construisent vos logements amènent de chez elles tout ce qui est nécessaire à leurs chantiers, y compris les ouvriers. Alors Mesdames et Messieurs les députés, qui exigez de la France qu’elle se repente, n’avez-vous jamais honte ?[/access]
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