Accueil Culture Exit Alfred Eibel

Exit Alfred Eibel

L'homme était charmant, immensément cultivé et d'une merveilleuse bienveillance


Exit Alfred Eibel
Alfred Eibel © Louis Monnier / Bridgeman Images

Le critique littéraire, cinéphile et éditeur nous a quittés à l’âge de 91 ans.


Triste nouvelle, Alfred Eibel est mort. Né à Vienne en 1932 – il se souvenait de l’Anschluss et de l’entrée d’Adolf Hitler dans sa ville – il avait vécu en Belgique, où il avait étudié au prestigieux Collège Cardinal Mercier. L’homme était charmant, immensément cultivé et d’une merveilleuse bienveillance pour ses cadets – j’en sais quelque chose pour avoir lu quelques lignes généreuses sur certains de mes livres. Je l’avais rencontré à une signature de Radio Courtoisie : j’avais été présenté par Michel Mourlet, sésame parfait, et nous avions immédiatement noué un lien. Il avait fréquenté Ernst Jünger et Fritz Lang, Arno Breker et Leni Riefenstahl (ce qu’il disait avec un sourire délicieusement ambigu), Gregor von Rezzori. Un temps éditeur à Lausanne (il dilapida ainsi un semblant de fortune), il publia Fernando Pessoa (le premier, me dit Jérôme Leroy, qui m’apprend sa mort), Jean-Pierre Martinet, Kenneth White… Critique littéraire, il écrivit dans Le Quotidien de Paris, les Nouvelles littéraires, les Lettres Françaises, le Figaro, Le Magazine littéraire, et aussi dans Matulu, la Revue littéraire, Polar, Service littéraire

A lire aussi : Fernando Pessoa ou l’inconfort intellectuel

Voici ce que j’écrivais il y a deux ans à propos de ses Souvenirs viennois:

Né en 1932 à Vienne d’un père officier tôt disparu et d’une mère austro-hongroise, Alfred Eibel est une figure attachante de la vie littéraire qui a traîné ses bottes de Bruxelles à Hollywood, de Prague à Zürich. L’homme a fréquenté bien du monde : Fritz Lang et Kenneth White, Léo Malet et Etiemble, Gregor von Rezzori et Gabriel Matzneff (qu’il a édité, avec quelques autres, dont Gérard Guégan et Pol Vandromme). Il connaît sur le bout des doigts le cinéma européen, la littérature chinoise et l’opéra autrichien. De père catholique, il a connu, après l’Anschluss, l’exil en Belgique avec son beau-père juif. Il est sans doute l’un des rares écrivains français d’aujourd’hui à avoir vu passer Hitler dans la Vienne de 1938 et à avoir entendu les stukas mitrailler les foules de l’exode en 1940. Alfred Eibel est un personnage de légende.
Voilà qu’il nous livre ses Souvenirs viennois par le truchement d’un joli ouvrage à la nostalgie ironique, car l’homme n’est jamais dupe. « En naissant à Vienne, écrit-il, j’ai vu le jour sur une zone sismique qui m’a fait penser à chaque instant à la disparition définitive du passé, à l’exemple de l’Atlantide ». C’est justement cette cité engloutie qu’il évoque par tableautins : la Vienne des années 50, qui lui sert de marchepied pour nous replonger, par fines allusions, dans celle de la Double Monarchie. Jonglant, non sans un zeste de perversité, entre kitsch et retour du refoulé, Alfred Eibel ressuscite la pension Operning, où il descendait naguère, avec ses naufragés de toutes sortes : rescapés des camps au sourire poli, émigrés revenus des Amériques et tous ces « accourus », Berlinois qui ont quitté leur ville rasée pour se faire oublier. Aux tables des grands cafés viennois, le Sacher, le Central ou le Mozart, il croise requins et margoulins, espions (nous sommes bien dans la Vienne du Troisième Hommeder Dritte Mann), mélomanes et cinéastes. La Vienne d’Alfred Eibel se révèle une ville à l’insouciance surjouée, qui tente de refouler les horreurs d’un passé récent ; il en rend avec brio l’atmosphère ambiguë et parfois frelatée.

Que la terre vous soit légère, cher Alfred Eibel !

Les Nobles Voyageurs: Journal de lectures

Price: 24,50 €

6 used & new available from 24,50 €

Souvenirs viennois (Littérature)

Price: 13,99 €

1 used & new available from 13,99 €

Fritz Lang: Ou le dernier bond du tigre (KLINCKSIECK HO)

Price: 14,99 €

1 used & new available from 14,99 €



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Instruction, éducation et… rééducation
Article suivant Si j’avais 12 ans en 2024…
écrivain et critique littéraire belge. Dernier livre : Les Nobles Voyageurs (Le Nouvelle Librairie, 2023)

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération