« Ange du mauvais goût » selon André Breton, peintre blasphématoire pour les uns, scandaleusement érotique pour les autres, Alfred Courmes a laissé une œuvre exubérante mêlant fable grecque, iconographie chrétienne et satire sociale. Ce grand oublié du XXe siècle est exposé à Charleville-Mézières.
Sise sur l’ancienne barrière de Pantin, limite de Paris au temps du mur des Fermiers généraux, l’actuelle place du Colonel-Fabien a longtemps été nommée place du Combat. De 1778 à 1945 s’y sont livrés combats de chiens, de cochons, de sangliers et même de taureaux ! Et c’est sur ce site chargé d’histoire qu’en 1971 a été érigé le siège du PCF, édifice moderniste signé Oscar Niemeyer. Désormais rebaptisé Espace Niemeyer, le lieu a accueilli, au printemps dernier, une exposition consacrée à un artiste largement méconnu :« Alfred Courmes, peintre d’histoires ». On peut la voir ces temps-ci à Charleville-Mézières.
Insolent, féroce, facétieux
Courmes (1898-1993) était à sa place, place du Combat : cet artiste insolent, féroce, facétieux, iconoclaste, érudit, a eu sa carte du Parti pendant dix ans –de 1936 à 1946 ! Effet de mode ? Picasso, Léger, Arroyo, Gilles Aillaud en étaient, eux aussi. Sans compter les surréalistes. L’artiste a relativisé rétrospectivement la portée de ce compagnonnage de circonstance. Courmes savait-il sa chance de vivre à l’ombre de Paris, non sous la terreur stalinienne ? Dès 1934, ce natif de Bormes-les-Mimosas, d’abord établi au Lavandou avant de s’installer à Ostende, a pris souche au bord du canal Saint-Martin, toile de fond de nombre de ses tableaux.
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Nourrie de tradition académique dont elle subvertit les codes avec délectation, son œuvre, canaille et polissonne, parodique et cruelle, épanche dans une verve blasphématoire un érotisme farceur dont nos actuelles vestales de la bienséance woke ne manqueront pas de dénoncer l’offense faite à la Femme, aux Minorités et j’en passe. En 1949, Courmes signe une huile intitulée La Belle, son triton et son loup : sur une plage, une sirène en jupons, gantée et masquée, triture des coquillages, observée de loin par deux messieurs en redingote, tandis qu’approche en froufroutant un dragon-nautonier court vêtu d’un débardeur marin.
Ange du mauvais goût
Elle vous l’allumera, toile millésimée 1972, s’agrémente de ce sous-titre leste : « Vous aussi mettez-lui dans les mains votre gros cigare ». Courmes, en 2023, serait mis en examen ! Œdipe, tableau kitschissime présenté au Salon de 1959, montre l’accouplement de la sphinge de Thèbes. Moins rapin que Clovis Trouille, auquel on le compare parfois, Courmes est aussi virtuose que Salvador Dalí. Celui que le sectaire André Breton qualifiait d’« ange du mauvais goût » s’était constitué une mythologie hybride associant, selon des montages intempestifs, des collages burlesques et des juxtapositions exubérantes, fable grecque, iconographie chrétienne, peinture d’histoire, veine paysagiste et naturalisme social. Topos de cette imagerie sacrilège, la figure de saint Sébastien, dont Courmes fait un marin coiffé de son bâchi, moins nu que déculotté, martyr consentant aux flèches qui le lardent, pourvu d’une verge dessinée dans son détail anatomique, frisure pubienne incluse. Le peintre a maintes fois revisité cette figure : de son Saint Sébastien de 1934, acquis par le Centre Pompidou dans les années 1980, jusqu’à son Saint Sébastien à l’écluse Saint-Martin (1974), vu de dos, membres entravés et fessier galbé, en passant par L’Ex-voto à saint Sébastien. Ce dernier se situe entre Mantegna et Chirico, où l’on voit le Romain supplicié flanqué d’une Vierge à l’enfant, laquelle, plantée sur un coton nuageux, pince la poire d’un klaxon pendant qu’au loin une paire d’argousins en képis contiennent la furie d’une plantureuse matrone. Peintre de la vie moderne pétri de culture classique, Courmes compile les références avec une malice faussement ingénue : de saint Roch à Icare, de Persée au Sphinx, des Amazones au Minotaure, d’Ulysse à Antigone… tout en les raccordant à l’âge de la technique, du progrès scientifique et de la publicité. Doux Jésus, quel scandale pastiche la peinture de Georges Rouault, affublant, au pied du Christ en croix, Marie-Madeleine d’une culotte immaculée de marque Scandale, mode 1960. Ailleurs, le bébé Cadum, le Bibendum Michelin, la fillette des chocolats Meunier investissent l’iconographie scabreuse de cet insoumis à qui Jack Lang a passé commande de son portrait officiel en 1991 ! Choisi en 1937 pour décorer la salle à manger de la légation française à Ottawa, Courmes signe, avec La France heureuse, la seule œuvre monumentale que lui ait jamais commandée la République – d’ailleurs badigeonnée jusqu’à sa tardive restauration, en 1984. Sous l’Occupation, Courmes conçoit le projet de quatre panneaux de deux mètres sur trois pour l’ornement de la faculté de pharmacie de Paris. Ses préparations à la gouache sur« la synthèse organique », « la chimie minérale », « la collecte d’organe » et « Pasteur et la vaccination » distillent cette dérision qui lui est propre. Mais la Libération le dispense de les réaliser en grand format. Huile marouflée sur bois, peinte en 1943-45, Le Sphinx acétylène en est une variation désopilante : « Œdipe nu, mais coiffé du pétase, interroge un Sphinx emplumé, brillamment éclairé par une ampoule où se forme de l’acétylène… » Ainsi l’œuvre est-elle commentée par feue Simonne Valette, dans un des textes du catalogue qui accompagne l’exposition.
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C’est le moment de célébrer cet ouvrage magnifiquement illustré, nourri de prestigieuses contributions (Christian Derouet, Bernard Blistène, Thierry Courmes, Pierre Rosenberg…). Il est porté par l’éditeur Dominique Carré et Carole Marquet-Morelle, directrice des musées de Charleville-Mézières et co-commissaire de cette fantastique exposition qui, après Paris, fait escale dans la ville rimbaldienne. Il faut courir la voir.
À voir
« Alfred Courmes, peintre d’histoires », musée de l’Ardenne et Maison des ailleurs (musée Arthur-Rimbaud), Charleville-Mézières, du 7 octobre 2023 au 7 janvier 2024.
Alfred Courmes, peintre d’histoires (dir. Dominique Carré et Carole Marquet-Morelle), Musée de l’Ardenne.