Plus le temps passe, plus Alexandre Vialatte se rapproche de l’immortalité : on en parle partout, on le cite partout, ses textes sont présents dans les vitrines de toutes les librairies. On sait ce qui attend le divin auvergnat dans un avenir proche : la célébration globale et continue, des rues Vialatte dans toutes les villes de France, toutes, la diffusion massive des textes de Vialatte dans les programmes scolaires, des émissions sur l’écrivain à des heures de grande écoute chaque samedi, l’érection (on dit comme ça) sur la place de la Nation à Paris d’une statue géante de 12 mètres de haut représentant l’auteur des Fruits du Congo dans une pause sobre suggérant qu’il vient de terrasser l’ennui, prenant la forme d’un monstre mythologie d’allégorie. (Notez qu’il existe déjà une statue de Vialatte, à Ambert, représentant le visage du divin auvergnat perché sur un monticule de terre surveillé par un oiseau doré, ayant lui-même le visage de l’écrivain. C’est l’œuvre de Kaeppelin, des spots ont été ajoutés pour faire des effets de lumière et ça fait un merveilleux lieu de culte). Mais tout ça c’est pour le moyen-terme. Pour ce qui est de l’actualité, un volume regroupant des textes inédits ou difficiles à trouver vient de paraître, Résumons-nous ; venant compléter la série Vialatte initiée par la collection Bouquins au début des années 2000 avec la publication des chroniques de La Montagne. Prenons le train avec Vialatte, sur la trace de ces nouvelles chroniques…
1ère arrêt : Mayence (Allemagne). L’histoire d’amour entre l’Allemagne et Vialatte sera fructueuse, et donnera de beaux enfants. D’abord c’est une rencontre avec la langue de Goethe, et Vialatte sera un infatigable traducteur (de Kafka, bien sûr, mais aussi de Nietzsche ou Thomas Mann). Ensuite c’est une rencontre avec le pays. De 1922 à 1929 Alexandre est rédacteur à la Revue Rhénane, basée à Mayence. C’est une revue, pour aller vite, qui entend faciliter les relations culturelles entre les français et les allemands. Le jeune homme va de l’émerveillement à l’inquiétude, en cette période où monte déjà un grand ressentiment, portant des mouvements mortifères qui aboutiront aux drames futurs que l’on sait. Tous les textes de la période allemande avaient déjà été repris ça et là dans un volume titré délicieusement Les bananes de Königsberg. On y retrouve aussi les articles que Vialatte, correspondant de guerre, a consacrés aux procès des tortionnaires du camp nazi de Bergen-Belsen. Alexandre nous offre une leçon de journalisme. S’il excelle à rendre l’atmosphère générale de ces prétoires historiques, c’est la psychologie des bourreaux qu’il parvient encore mieux à percer à jour. Tel Josef Kramer, commandant SS du camp, qui s’étend ça et là sur ses hobbies, Vialatte souligne : « ‘J’étais en train de jardiner avec ma femme…’, nous dit Kramer, et la violence artistique de ce mot, parti d’un cœur brutalement saisi entre les exigences contradictoires de la scarole et du four crématoire, donne une insupportable idée de variété des possibilités humaines ». Décrivant la situation misérable des suppliciés, l’écrivain donne cette image magnifique : « Il y en avait qui mourraient de faim en caressant une poire qu’ils n’avaient pas encore osé manger et qui était déjà pourrie ». Vialatte, après les années 40, ne reviendra plus en Allemagne. Il avait emmagasiné assez d’Allemagne pour tout le reste de sa vie…
2ème arrêt : le Dauphiné. De 1932 à 1944, Vialatte écrit régulièrement dans le quotidien Le Petit Dauphinois, édité à Grenoble. Il y tient une chronique libre, sur les sujets de son choix, sans toujours de rapport direct avec l’actualité. Toute la verve humoristique et poétique des chroniques de La Montagne est déjà là. Ce volume propose un choix de textes, parmi ceux que l’écrivain a conservé. C’est dire si l’archéologie vialatienne dans les archives de presse a encore de beaux jours devant elle… Vialatte recherche l’insolite, le bizarre, le loufoque… comme dans ce papier de 1932, que nous mettrons en exergue : « La gazette du pôle nord » dans lequel il évoque l’existence d’un journal composé d’images, paraissant une fois par an en Laponie, distribué aux populations par des traineaux. Dans cette ode à la presse, Vialatte souligne « Fumer la pipe et lire le journal font, au fond, les grandes différences qui distinguent l’homme de l’animal après le repas : on imagine malaisément une vipère bourrant sa pipe, un crapaud lisant Les Débats ». Les collaborations du divin auvergnat avec la presse ne cesseront plus jusqu’à sa mort…
3ème arrêt : le Royaume farfelu. Dans les années 60, Vialatte donne au mensuel féminin Marie-Claire une hilarante chronique, prenant souvent la forme d’un almanach de fantaisie. Ces textes, peut-être les plus espiègles de l’écrivain, ont déjà été réunis sous le titre L’almanach des quatre saisons. Cela se situe quelque part entre Pierre Dac, Les Travaux et les Jours d’Hésiode et une parodie affectueuse de l’Almanach Vermot. N’oublions pas non plus la proximité toujours nécessaire du catalogue ManuFrance. On y lit des choses comme… « Mai se compose essentiellement de trente et un jours si habilement distribués qu’ils forment tous les ans le cinquième mois de l’année. Il tire son nom de Maïa, mais les Anciens l’avaient placé sous la protection d’Apollon. Apollon en était ravi, car c’est le plus joli mois de l’année. » En été : « Le mois d’août date de la plus haute antiquité. Il se caractérise par une chaleur atroce. Il faut l’avoir vécu soi-même pour s’en faire une idée. Le sergent de ville colle au bitume de la chaussée. L’Auvergnat ne porte plus que trois ou quatre lainages ». Quant aux natifs de Mars ils ont la nuque forte et l’œil parfois nostalgique… Sachez-le.
4ème arrêt : le cinéma. Belle surprise de ce recueil, d’inattendues critiques ciné de 1950 pour l’éphémère revue Bel amour des foyers – « L’hebdomadaire de la famille heureuse ». Tout un programme… C’est sous pseudonyme (Serge Sergent !), et discrètement, que le divin auvergnat s’aventure sur ce terrain. Le cinéma intéresse Vialatte depuis toujours. Il est né avec. Il a suivi la mue incongrue du cinématographe, d’attraction foraine à Art n°7. Il a même su avoir de vrais amours cinéphiles, et chanter Fellini comme personne dans La Montagne. Ici on peut s’amuser – mais avec tendresse ! – des films oubliés (et oubliables ?) dont il est question… Alexandre les a-t-il tous vu d’ailleurs ? Qu’importe ! Au sujet de l’hollywoodien Autant en emporte le vent, après un long plaidoyer contre la machine de guerre publicitaire accompagnant sa sortie, le critique célèbre l’humanité du film et glisse du La Rochefoucauld. Il n’était franchement pas obligé.
5ème et dernier arrêt. Retour à Paris, train de nuit. Les trains vont et viennent dans l’œuvre de Vialatte, comme dans la vie de tout un chacun. La chronique montagnarde du divin auvergnat a longtemps paru le mardi, il la confiait au dernier train postal du dimanche en partance pour Clermont. Mais de 1962 à sa mort (en 1971) Alexandre a aussi collaboré au mensuel Le Spectacle du Monde. Ces textes fermant Résumons-nous avaient déjà été publiés jadis dans un volume titré Dernières nouvelles de l’homme. Dans son excellente préface Pierre Jourde nous apprend que les chroniques avaient alors été expurgées, dans ce premier recueil, de leurs saillies politiques. Nous les retrouvons, là, dans leur intégralité succulente. Le divin auvergnat y chante l’abominable homme de Chaval, Sempé, son compère Pourrat, Astérix ( ! ), Paris évidemment insolite, le tourisme, les HLM, le néon, la publicité, la solitude, l’art, la vie… mais s’emporte aussi contre la France, lâchant les pieds-noirs en Algérie, et abandonnant l’Algérie de manière générale. La tonalité générale est poétique, certes. Mais sombre. Le poète peste ça et là contre l’art abstrait (incapable de rendre la grâce du crocodile !) et a un sens sublime des années qui passent… « Vingt fois j’ai voulu dire adieu à ma jeunesse. Vingt fois j’ai craint de me montrer ridicule ». La chronique est titrée : « Le train du soir ». En ces pages, ailleurs, il rend un hommage homérique à Sarah Bernhardt. Alexandre avait tout compris des actrices. Il avait donc tout compris à la vie. Comme par un effet de hasard, Vialatte meurt six mois après le Général de Gaulle. Terminus provisoire. C’est déchirant ces chênes qu’on abat…
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