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La race des écrivains


La race des écrivains

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J’ai entre les mains un curieux ouvrage qui vient de paraître, intitulé Chroniques du racisme ordinaire, le livre noir de la littérature française du XIXe siècle (Éditions Pimientos). L’auteur de cette anthologie, Alexandre Hurel, qui semble en effet un très bon connaisseur en son domaine, s’est mis en devoir de « traquer » (c’est son mot, il l’emploie deux fois dans sa préface) les passages ou propos antisémites et/ou racistes chez les grands écrivains – de Dumas à Maupassant, de Michelet à Stendhal, et de Jules Verne à Huysmans.
Et le fait est qu’il en a trouvé. Beaucoup. C’est indiscutable. Le florilège est accablant. M. Hurel est un procureur qui fait bien son travail, et avec la dernière rigueur. Même Zola est « parfois bien limite, mais comme sauvé par son J’accuse » ! Soit, soit, on admet.
Et nous sommes bien d’accord, tout cela est insupportable pour nous, qui savons  jusqu’où peuvent mener de tels réflexes et idéologies. Reste une question, une grande question : savoir à quoi ce livre veut aboutir. Je passe sur certaines manœuvres un peu abusives –  faire voisiner un texte de Proudhon qui appelle explicitement à l’extermination des juifs avec le sonnet de Baudelaire « Une nuit que j’étais près d’une affreuse juive… » ou aller dénicher du racisme chez Stendhal qui évoque les différences de tempérament selon les régions de France (en s’appuyant certes sur des théories fantaisistes). Il y a aussi une curieuse absence d’analyse. Ainsi Victor Hugo se prononce-t-il pour la colonisation afin d’apporter le progrès aux « races inférieures ». C’est clair, c’est net, il l’a dit. Mais M. Hurel ne prend pas garde que Hugo était pour la colonisation du même point de vue qu’il était pour « les États-Unis d’Europe », et contre la peine de mort, ou qu’il dénonçait la misère sociale. On en fait quoi, de ça ?[access capability= »lire_inedits »]
Ce que prouve en réalité ce livre, c’est que le racisme était alors un réflexe de pensée assez spontané, et si l’on ose dire candide, et ça date de loin, puisque M. Hurel en trouve même trace dans l’Ancien Testament. Aux meilleurs esprits, que d’erreurs promises !
Cela étant, « racisme », « raciste » sont des termes qui n’apparaissent qu’à la fin du XIXe siècle. Avant cela, on fait du racisme comme M. Jourdain faisait de la prose. On peut le déplorer mais c’est ainsi. Sauf que M. Hurel révoque la notion de « contexte ». On ne doit pas dire, selon lui, que dans le contexte de l’époque, même un Dumas, dont le grand-père était noir, a pu parler de « l’expression de stupidité » sur le visage d’un « gros nègre du Congo », et ce « dans toute l’exagération de la laideur de la race ». Eh oui. En son époque, Dumas, le généreux et progressiste Dumas, ne se posait aucune question en écrivant cela. Mais M. Hurel refuse le « contexte », au motif que certains écrivains (Chateaubriand, ou Rimbaud, qui vécut en Afrique) n’ont pas tenu de propos de cette sorte. M. Hurel ne se demande pas s’ils ont pu le penser. Mieux : il s’appuie sur des contre-exemples, comme Lamartine s’exclamant : « Je suis de la couleur de ceux qu’on persécute.» Très bien. Mais lorsque Nerval écrit, à propos des Égyptiens : « Ils sont plus rêveurs  qu’actifs et plus intelligents qu’industrieux. Mais je les crois bons », M. Hurel ne voit pas de racisme là-dedans. Or moi, j’en vois, même si c’est un racisme positif, au sens le  plus rigoureux du terme : accoler des qualités d’ordre moral ou intellectuel à une ethnie ou à une couleur.
Alors, oui, où veut-on en venir ? À une expurgation générale ? Il y aura du travail.
J’ai vu un universitaire sérieux trouver la Chanson de Roland xénophobe, un autre reprocher à Racine de n’avoir pas protesté contre les dragonnades, un troisième juger Dante « complice de la torture » (à cause des supplices de son Enfer). Je ne soupçonne pas M. Hurel de tels excès. Je voudrais juste qu’il me dise ceci, oui, ceci, exactement : où il veut en venir.[/access]

*Photo : Rachid Lamzah.

Mars 2013 . N°57

Article extrait du Magazine Causeur



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est écrivain. Dernier livre paru : <em>La langue française au défi,</em> Flammarion, 2009.

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