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« Je crois à un populisme décent »

Entretien avec Alexandre Devecchio


« Je crois à un populisme décent »
Alexandre Devecchio © Hannah Assouline

À la tête du Figaro Vox, il anime les pages Idées les plus pluralistes et les plus lues de la presse française. Mais Alexandre Devecchio est aussi un homme de convictions sans fausse pudeur. Avec une telle franchise – et un tel pouvoir–, pas étonnant qu’il soit respecté à droite comme à gauche.


Causeur. Vous êtes le représentant et le chroniqueur d’une nouvelle génération politique et intellectuelle de droite qui a produit d’éminents journalistes et changé le rapport de forces, notamment en intervenant sur CNews. Peut-on parler de « génération Bolloré » ?

Alexandre Devecchio. C’est la thèse de la gauche. Pour elle, cette nouvelle génération est le produit d’un écosystème médiatique (CNews, Figaro Vox, C8), donc du combat culturel – et de la Manif pour tous. Dans L’Extrême Droite, nouvelle génération, Marylou Magal et Nicolas Massol insistent beaucoup sur les réseaux. On dirait un livre d’extrême droite qui voit la main des francs-maçons partout. Pour moi, c’est l’Histoire qui a accouché de cette génération. Elle a vécu très jeune le 11-Septembre, les émeutes de banlieue, puis les attentats de 2015. Moi qui suis un peu plus âgé, j’ai connu la fin de l’illusion black-blanc-beur et La Marseillaise sifflée lors du match France-Algérie de 2001. J’ai vu monter la pression identitaire. Après le 11-Septembre, j’ai entendu « Vive Ben Laden » au lycée, j’ai vu les voiles apparaître. Bardella n’est pas l’enfant de Maurras, mais celui des émeutes de 2005 en Seine-Saint-Denis, de la haine des Blancs. La réislamisation de la jeunesse des banlieues et, à gauche, le tournant Terra Nova, qui aboutira à l’islamo-gauchisme, engendrent en réaction une jeunesse nationaliste, patriote, qui réclame la protection de la nation. C’est la génération de l’« identité malheureuse » ou de la mondialisation malheureuse. Et aussi celle du basculement démographique. À Épinay, où j’ai grandi, dans la galerie commerciale, il n’y a plus que des boucheries halal et des types qui vendent des burqas.

C’est aussi une génération eurosceptique…

En effet, le référendum sur la Constitution européenne de 2005 est la première campagne dont se souviennent les jeunes que j’ai interrogés dans mon livre. Le clivage sur la souveraineté et l’identité devient structurant.

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Mais à gauche, ce tournant ne produit ni journalistes ni penseurs brillants…

C’est vrai, rappelez-vous la une du Nouvel Obs  sur « les intellos 100 % sans Finkielkraut et Zemmour » : il n’y avait que des inconnus sans œuvre et sans pensée. Cependant, il y a un courant woke. On peut le trouver très pauvre, mais il existe…

Des sous-chercheurs appointés. Revenons à la jeune garde de droite. Elle se forme dans le combat contre l’hégémonie culturelle.

Hégémonie qui se mesure au fossé entre l’opinion médiatique et l’opinion populaire. En 2012, je suis au CFJ, on organise un vote présidentiel : Sarkozy et Le Pen n’ont aucune voix, Dupont-Aignan en a une, la mienne, et tout le monde pense que c’est une blague. Il y a une chape de plomb sur le journalisme. Quand j’arrive au Figaro Vox, je découvre de jeunes intellectuels qui n’ont aucun complexe, se moquent du politiquement correct : Eugénie Bastié, qui est ma stagiaire, Bellamy, etc., il y a une émulation, on se voit le soir. Et puis, il y a la génération précédente, ceux qu’on appelés les néo-réacs, avec Zemmour qu’on a tous regardé dans « On n’est pas couché ». Il a eu une influence considérable. Moi, je ne voulais pas être journaliste, je voulais être Zemmour ou Polony.

Finalement, votre génération fait exploser le plafond de verre idéologique.

Ne surestimons pas notre rôle. Nous accompagnons un vaste mouvement populaire et historique. Il y a aussi internet et les réseaux sociaux qui changent la donne. Je me souviens d’un match Algérie-Russie, pendant la Coupe du monde au Brésil, où des supporters ont tout cassé. L’AFP parlait de « quelques petits incidents », alors que des images de voitures brûlées et de destructions circulaient. Le système médiatique, même de gauche, est obligé d’être un peu plus proche de la réalité des Français.

Il faudrait aussi évoquer le réveil des catholiques.

Ils étaient méprisés, hors des écrans radar médiatiques, mais ils étaient déjà là, je vous signale ! La Manif pour tous a fait émerger des cadres. Il y a aussi la jeunesse de la France rurale et périphérique qui a vu ses usines et ses services publics disparaître et qui a le sentiment d’être invisible pour Paris. Cela fabrique moins de cadres, mais beaucoup d’électeurs pour le RN.

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Alors qu’un parti plus proche de vos idées pourrait accéder au pouvoir, craignez-vous de vous retrouver « embedded » ?

Je me bats pour des idées, pas pour un parti. L’important, c’est le pluralisme. On accuse le Figaro de « droitisation », un crime odieux, mais nous n’avons jamais été aussi ouverts aux auteurs de gauche. C’est dans nos pages que Mélenchon s’est exprimé après les européennes…

Donc, vous ne craignez pas que le politiquement correct passe à droite ?

C’est un risque, mais nous n’en sommes pas là ! Il reste France TV, le Festival d’Avignon, les intermittents du spectacle. Il faut travailler et ne jamais penser par slogans.

Verrez-vous la fin de l’hégémonie culturelle de la gauche ?

Je ne sais pas si la Manif pour tous a été le Mai 68 des conservateurs, mais nous assistons à un basculement culturel et historique. Aujourd’hui, les baby-boomers tiennent les grands médias, mais ils vont prendre leur retraite. L’alternance qui s’annonce va aussi se traduire par davantage de pluralisme. Le pays médiatique rejoindra le pays réel…

La gauche accuse CNews d’exciter les gens. Est-ce qu’au contraire, cela ne les apaise pas d’avoir un média qui parle de ce qu’ils vivent ?

Entièrement d’accord. C’est cathartique. Ce qui rend les gens fous, c’est qu’on leur dise qu’ils ne vivent pas ce qu’ils vivent. Si on voulait créer une réaction violente, on ne ferait pas autrement.

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Personnellement, comment vous définissez-vous ?

Après Les Nouveaux Enfants du siècle, j’ai écrit un autre livre, Recomposition : le nouveau monde populiste, dans lequel je présentais le populisme comme la possibilité d’un sursaut démocratique. Je crois à une forme de populisme décent pour combler le fossé actuel entre les élites et le peuple. On a besoin d’une élite davantage connectée aux préoccupations populaires. Je ne veux pas d’une République des technos.

Beaucoup de Français pensent que tout est foutu. Et vous ?

Non, sinon je ne ferais pas ce métier. Le paysage médiatique change, le paysage politique aussi. Une recomposition portée par les classes populaires s’opère dans la plupart des démocraties occidentales. Il ne s’agit pas d’un repli « fascisant », mais au contraire d’une demande de démocratie. Nous devons en finir avec la pensée unique qui s’est érigée en cercle de la raison. Les mouvements « populistes » qui ont pris le pouvoir ces dernières années n’ont pas forcément trouvé leur forme aboutie. Mais la bonne nouvelle, c’est que les peuples occidentaux ne veulent pas mourir et ont décidé de prendre leur destin.

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Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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