Les chiffres de la natalité française en berne, analysés par la démographe Michèle Tribalat.
Michèle Tribalat signe un long papier, « L’immigration, ce 11e commandement de l’INED », dans le nouveau numéro du magazine NDLR • |
Dans son Insee Focus n° 307, qui vient de paraître, l’Insee a titré : « En 2022, des naissances au plus bas depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ». Ce que confirment les données pour la France métropolitaine depuis 1946[1] : 685 646 naissances y ont été enregistrées en 2022, contre 843 904 en 1946 et 710 993 au point le plus bas des années 1990 (1994). Pour la France entière, l’Insee a pris la mauvaise habitude de garder la discontinuité de champ introduite en 2014 avec Mayotte, alors qu’il dispose du nombre de naissances à Mayotte. Un des principes élémentaires de la statistique est d’établir des séries sur un champ constant. C’est pourquoi, il est plus raisonnable, lorsque c’est possible, de rester sur la France métropolitaine.
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Si l’Insee prend un grand recul pour replacer la natalité observée en 2022, il se garde bien de faire la même chose pour ses composantes selon l’origine des parents: « Un peu plus des deux tiers (68%) des nouveau-nés ont des parents tous deux nés en France. Dix ans auparavant, c’était le cas de près des trois quarts des naissances (73%) ». Or l’Insee publie les données qui permettent de remonter jusqu’en 1998, y compris pour la France métropolitaine. Voyons ce que cela donne pour les années 2000-2022.
Une baisse qui aurait été beaucoup plus abrupte sans le secours des naissances de parents nés à l’étranger
De 2000 à 2022, le nombre de naissances de deux parents nés en France a baissé de 22,1%. La baisse du nombre total de naissances, qui démarre en 2010 mais a été plus accentuée après 2014, n’a été que de 11,4% sur 22 ans, grâce à la participation des personnes nées à l’étranger (tableau 1 ci-dessous). Laissons de côté, pour l’instant, le fait de savoir si les deux parents ou un seul sont nés à l’étranger. Le nombre de naissances d’au moins un parent né à l’étranger a augmenté de 25,6% en 22 ans, freinant ainsi la baisse de la natalité française. Leur proportion a gagné un peu plus de 9 points en 22 ans et s’élève à 31,7% en 2022.
Maintenant, si l’on examine dans le détail l’évolution selon que les deux parents ou un seul sont nés à l’étranger, elle est peu crédible, avec une césure en 2011, comme l’indique le graphique ci-dessous. Jusqu’en 2010, l’évolution du nombre de naissances de deux parents nés à l’étranger ou d’un seul est à peu près identique, avec un gain d’environ 25%. Cependant, dans les douze années qui suivent, seules les naissances d’enfants de deux parents nés à l’étranger continuent d’augmenter, et plus fortement qu’avant. De 2000 à 2022, le nombre de ces naissances aurait augmenté de 63% tandis que celui des enfants nés d’un seul parent né à l’étranger aurait retrouvé à peu près le niveau du début du siècle.
Une note de l’Insee, en très petits caractères en bas du tableau donne une vague piste : « À la suite de l’évolution de la méthode de traitement des données pour 2011, les séries présentent une légère rupture cette année-là » (je souligne). De 1977 à 1997, deux colonnes du tableau indiquaient le nombre d’enfants dont on ne connaissait pas le pays de naissance du père, selon que la mère était née en France ou à l’étranger. Depuis 1998, l’Insee redresse les données et ces colonnes ont disparu. Mais, il les a redressées différemment à partir de 2011, sans qu’on en sache plus. C’est bien dommage compte tenu de la césure introduite par le changement de pied de l’Insee. Pourquoi, si l’Insee considère son nouveau redressement meilleur, n’a-t-il pas rétropolé sa nouvelle méthode afin de disposer d’une série homogène traitant de la même manière l’absence d‘information sur le pays de naissance du père ?
Dès que l’on introduit quelque détail sur le pays de naissance des parents (UE27, hors UE27), il apparaît que le renfort à la natalité française provient avant tout des personnes nées en dehors de l’UE27. L’aberration de la rupture de série après 2011 n’est visible que sur ces naissances de parent(s) nés hors UE27 (graphique ci-dessous).
Évaluation fautive du poids de différents groupes d’âges dans la baisse de la natalité
Par ailleurs, lorsque l’Insee examine la répartition par groupe d’âges des hausses et des baisses du nombre de naissances (reprise de la figure 3a, Insee Focus n°307 ci-dessous), il fait une évaluation fautive du rôle du groupe d’âges 25-34 ans : « Les naissances de mères âgées de 25 à 34 ans, âges auxquels le taux de fécondité est particulièrement élevé et qui concentrent donc la majorité des naissances, contribuent à hauteur de 93% à la baisse globale des naissances en 2022 ». Ce calcul est faux car les femmes de 40 ans ou plus ont eu plus de naissances. Il n’est donc pas possible, comme le fait l’Insee, d’évaluer la contribution des femmes âgées de 25-34 ans en rapportant les naissances de ce groupe au total.
Sur dix ans, la fécondité baisse avant 34 ans
Une comparaison, sur dix ans, de l’évolution de la fécondité (2012-2022) en France, montre une diminution du nombre d’enfants pour 1000 femmes (Indicateur conjoncturel de fécondité ou ICF) qui passe de 2 008 à 1 796.
C’est aux âges de forte fécondité que la baisse est la plus grande en valeur absolue. L’ICF partiel de 25 à 33 ans a perdu 158 bébés pour 1000 femmes de cet âge en dix ans. Ajoutés aux 100 enfants de moins avant cet âge, cela fait une perte de 258 enfants pour 1000 femmes, que ne sauraient compenser les 45 naissances gagnées après 33 ans entre 2012 et 2022 (tableau ci-dessous).
L’année 2023 s’annonce encore plus mauvaise que 2022
Les données provisoires sur les naissances en France (entière, avec Mayotte), de janvier à août 2023, enregistrent une décrue de 7,2 % sur les huit premiers mois de l’année.
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Lorsqu’on calcule le nombre annuel de naissances auquel on pourrait s’attendre, en appliquant le rapport moyen des huit premiers mois aux douze derniers des années 2015-2019, ou même le rapport le plus élevé observé en 2016, on obtient un nombre de naissances annuel anticipé pour 2023 autour de 680 000 naissances, en baisse d’environ 6% par rapport à 2022, diminution plus forte que celle observée sur l’ensemble de l’année 2022 par rapport à 2021 (2,2 %).
Une poursuite de la baisse de la fécondité des femmes âgées de moins de 34 ans augure mal de l’évolution à venir du nombre de naissances. Il n’est guère raisonnable de compter sur la poursuite d’un allongement de l’âge des femmes à la naissance des enfants (déjà en moyenne de 31,2 ans, un an de plus qu’il y a dix ans) car la marge de progression est naturellement plus réduite après 33 ans.
Enfin, c’est avec tristesse que l’on note, dans un article si court, trois anomalies qui relèvent des principes de base en statistique :
- Toute évolution temporelle doit se faire, lorsque c’est possible, sur un même champ géographique. L’Insee avait tous les outils disponibles pour le faire ;
- Lorsque l’Insee revient sur une manière de traiter les non-déclarations entraînant une rupture significative dans une série, il devrait au moins expliquer clairement de quoi il retourne et, au mieux, rétropoler sa nouvelle manière sur le début de la série ;
- Enfin, il n’est pas possible de peser le rôle d’un groupe d’âges dans une évolution d’un certain signe (plus ou moins) quand ces groupes d’âges interviennent en plus et en moins.
Source de l’article: blog de Michèle Tribalat.
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[1] On ne dispose des données France entière que depuis 1957.
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