Chanteur, acteur, playboy d’opérette, merveilleux diffuseur d’un art de vivre décomplexé, Aldo Maccione est toujours présent dans notre imaginaire…
Aucune actualité sur Amazon depuis mars 2020 et la sortie de L’Animal en Blu-ray. Aucune biographie documentée. Aucune émission TV hagiographique sur le service public. Aucune thèse lacrymale et victimaire. Aucun colloque à visée rééducative. Aucune chaire de sociologie en branle. Aucun dossier thématique glorifiant le nanar et l’apnée boulevardière dans Télérama. Aucun penseur progressiste n’a même soulevé sa plume pour témoigner de ce large mouvement d’émancipation, de la drague foireuse à la symbolique métaphysique du string durant les années 1970/1980 comme derniers signes d’une civilisation éclairée. Aucune station balnéaire n’a encore donné son nom à une avenue ombragée ou à un rond-point fleuri. Aucune association intersectionnelle n’a défendu l’homme et l’acteur, la puissance comique et l’absurdité magnifiée, le topless et l’amitié franco-italienne, la fesse libre et la farce désenchantée. Aucun réactionnaire n’a déclaré sa flamme à ce trublion plus proche de Muray que de Duras.
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Pourquoi ce silence ? Pourquoi cette volonté toujours d’ignorer, de mépriser le bourreau des cœurs, le ringard transalpin, le héros au gros nez de notre jeunesse ? Pourquoi cet ostracisme honteux qui en dit long sur notre perte des valeurs et l’abandon de la gaudriole dans les usages de la civilité ? L’individu-procureur masqué nous tient en laisse. La blague est aujourd’hui forcément incomprise. La légèreté se chasse en meute. L’élan rieur est jugé parfaitement inconvenant alors que tant de minorités luttent pour leur survie médiatique.
Aldo Maccione, italo-disco
Alors, vous pensez bien que la « 7ème Compagnie » et « Plus beau que moi tu meurs » ne peuvent susciter que moqueries et opprobre. Et pourtant, quelle carrière improbable, quel souffle disruptif, quelle onde nostalgique, des Brutos aux comédies ensoleillées du dimanche soir ! Suivant les conseils d’Eddy Mitchell, j’ai décidé d’oublier de l’oublier. Aldo Maccione est vivant. Il apparaissait à l’écran et nous étions déjà en vacances. Au bord de l’eau.
Dans les éclaboussures et le marivaudage patelin, jamais dans l’aigreur, jamais dans le ressentiment, avec l’envie d’amuser la galerie, de plaire exagérément, de retrouver cette innocence gamine, de s’extraire d’une année poisseuse, de dire enfin merde aux dealers de l’ascèse. Pino d’Angio et Adriano Celentano, choristes de nos étés soyeux, assuraient la couverture musicale avec l’accent et cette morgue enchanteresse. J’entendais au loin les incantations de Righeira : « Vamos à la playa ». L’italo-disco est la plus belle avancée sociale après l’arrivée du graphite dans la composition des raquettes de tennis. Samantha et Sabrina, impudiques et solaires, s’ébrouaient dans la piscine de l’hôtel. Edwige Fenech gironde et spirituelle n’obéissait qu’à son désir. Les garçons lisaient Martin Veyron, les filles s’endormaient avec Emmanuelle Arsan. Sur le parking, les cabriolets Talbot Samba et Fiat Ritmo donnaient de la consistance aux apprentis-séducteurs. Le gin-fizz était la boisson des nuits trop courtes, la poudre Tang intriguait les enfants à l’heure du goûter.
Un guide bienveillant
C’est juré, cette année, sur la plage, je me lance, j’imiterai sa démarche décalée bravant le ridicule ; j’oserai sa parade désarticulée par provocation goguenarde et hommage sincère. Lui seul avait le bon tempo, la bonne inclinaison et cette raideur claudicante dans la jambe qui font toute la différence. Ah le charme de la lose, le romantisme du sable chaud, à la fois baromètre de notre humeur et surtout de notre absence de sérieux. Nous étions moins cons, moins sensibles à notre image, donc plus perméables à la rencontre. Aldo le turinois né en 1935 et habitant aux dernières nouvelles sur la Côte d’Azur, c’est beaucoup plus que Maccione. C’est un guide bienveillant dans la froide mondialisation, un strapontin pour le glandilleux et la tendresse taquine. Son compatriote Uderzo l’avait dessiné dans Astérix. Lelouch lui a taillé sur-mesure le costard du souffre-douleur toujours gai, du factotum traînard et essentiel à la mécanique du rire. Pierre Richard s’en est fait un mentor, un professor en échappées amoureuses et catastrophiques, en compagnon admirable des galères surjouées et des flirts chaotiques.
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Cinéma débonnaire
L’admirable Philippe Clair, réalisateur du bordel carnavalesque, dont l’œuvre commence tout juste à interroger les cinéphiles réfractaires au bonheur, l’a élevé en tête de gondole d’un cinéma débonnaire et décorseté. Chez ces gens-là, on savait apprécier le second degré troupier, l’érotico-godelureaux à destination des familles réunies, l’esthétique du pire avec le sourire. C’est-à-dire un art détaché de moraline et de prétentions pompeuses. La comédie humaine sans la quincaille idéologique et les avertissements sonores. Je veux donc ici, avant le changement de saison, et l’entrée dans l’été, réparer cette injustice. Aldo, le dragueur classe fut et reste notre soleil de minuit.