L’alcool tue une personne toutes les dix secondes d’après l’OMS. Je vais donc compter maintenant dix secondes après chaque verre terminé. Et puis, si je suis toujours vivant, je m’en resservirai un autre. Pour fêter ça. C’est vrai, une information comme ça, terrifiante, assénée avec des mines graves et des musiques dramatisantes à tous les JT, ça me donne tout de suite envie de boire un gorgeon. Pour soigner mon angoisse. Sans compter les habituels alcoologues et experts patentés aux mines longues comme un jour sans vin qui vous expliquent que jamais on n’a vu un tel carnage, que c’est le pire des fléaux, que même les drogues douces ou dures, à côté ce sont des petites joueuses.
Bon, il fallait juste oublier, mais c’est le propre des chaînes d’infos continues que d’aplanir sans hiérarchiser, que les résultats de cette enquête de l’OMS étaient donnés juste avant que les présentateurs, l’air très détendu, annoncent que le réchauffement climatique avait rendu irréversible la fonte de certains glaciers de l’Arctique et que le niveau des océans allaient augmenter de plusieurs mètres dans les décennies à venir, provoquant le déplacement forcé de plusieurs centaines de millions de personnes. À cause de l’eau, donc.
Alors, il faudrait savoir, c’est l’alcool ou l’eau, le plus dangereux ? Puisqu’il y a des climatosceptiques, vous savez ces gens qui refusent d’admettre l’évidence et qui continueront à vous dire, quand ils nageront en rond place de l’Etoile en attendant les secours, que c’est une invention gauchiste pour entraver le développement harmonieux de la production capitaliste, moi, je vais devenir alcoolosceptique. Il n’y a pas de raison. Je ne veux pas croire les chiffres de l’OMS, ou plutôt je me méfie profondément de ce genre de communication terroriste. Le mort toutes les dix secondes à cause de l’alcool, c’est un peu comme les 1500 chômeurs de plus par jour depuis l’élection de François Hollande ou les cent millions de morts du communisme. Ce sont des chiffres un peu trop ronds (c’est le cas de le dire) pour être honnêtes.
Sinon, me suis-je demandé avec ce mauvais esprit qui vient avec l’ivresse alors que je me reversais un verre, est ce que l’OMS, elle a les chiffres sur les conséquences sanitaires du chômage de masse? Sur les conséquences sanitaires du sous-développement? Sur les conséquences sanitaires du harcèlement au travail et du management par la terreur? Sur les conséquences sanitaires de la précarité au travail? Ou de la pollution par les particules fines? Ou des logements dégueulasses? Ou de la junk food? Ou des hôpitaux fermés en Grèce et ailleurs? Je suis certain qu’elle les a et qu’elle ne les cache même pas. Qu’ils sont à la disposition du public. Seulement je suis certain aussi qu’ils sont beaucoup moins intéressants en termes médiatiques, beaucoup moins spectaculaires. Qu’il est beaucoup plus simple de confondre, en ces matières-là comme en d’autres, l’insécurité par exemple, la cause et la conséquence.
Reprenons : l’alcool tue une personne toutes les dix secondes. C’était donc probablement quelqu’un qui buvait trop. Assez étrangement, on n’a pas posé la question afin de savoir pourquoi cette personne buvait trop. Moi je n’ai aucune excuse, je bois pour mon plaisir et en plus comme je bois si possible biodynamique, parce que je suis un bobo, je limite la casse. Mais celui qui s’arsouille au comptoir du coin avec des alcools forts ou seul dans la cuisine en finissant la bouteille de kirsch pour les desserts, il n’y aurait pas une légère corrélation entre ses lunettes en peau de saucisson et son absence d’ «employabilité» comme on dit chez les économistes ?
On apprend aussi dans cette enquête que beaucoup de ceux qui meurent toutes ces fameuses dix secondes ont tendance à être pauvres, basanés et de l’hémisphère sud. Ce ne serait pas, par hasard, parce qu’ils vivent dans des contrées où les maladies infectieuses sont fréquentes et mal soignées car ça coûte trop cher, sachant qu’une maladie infectieuse, ça vous transforme le moindre verre de gnôle en tempête sur un fétu de paille. On pourrait aussi parler des jeunes qui boivent tellement et de manière tellement suicidaire avec le binge drinking mais si on en parle alors il faut se demander la raison d’une telle conduite et ne pas chercher à s’en tirer avec des généralités sur la jeunesse et son goût de la transgression. Mais se demander si la picole, parmi tant d’autres addictions jeunes, n’aurait pas pour origine un désespoir plus ou moins clairement formulé d’appartenir à la deuxième génération de suite qui vit moins bien que la précédente pour se loger, travailler, se soigner…
Allez, les dix secondes sont largement dépassées. Patron, rhabillez les orphelins, c’est pour moi…
*Photo : Svancara Petr—Petr Sva/AP/SIPA . AP21544505_000009.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !